Les hommes de Maserati : les ingénieurs

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maseramo
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Merci Maserachti ;)
Et en plus, les modèles routiers retournaient parfois à la compétition avec le moteur "routier" de 150 cv !
Très légers (840 kg grâce aux carrosseries toutes en aluminium et aux vitres latérales en Perspex), très fins et dépassant les 210 km/h, certains coupés A6 G/54 Zagato furent engagés tels quels en compétition par des pilotes amateurs (Mille Miglia, courses de cote ...), 2148 remportant même le championnat italien de la montagne 1956 aux mains d'Adolfo Tedeschi !

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"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
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Blu Sera
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par Blu Sera »

Magnifique !!! Merci Maseramo, c'est un régal de se voir conter ainsi l'histoire de Maserati par le prisme de ses ingénieurs.
Ton schéma sur les Maserati de course "d'avant-guerre" est didactique et explicite, bravo ! Et je découvre le triporteur électrique, le marketing saura certainement le récupérer en temps voulu ;)
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maseramo
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Merci Blu :D Maserati pourra se targuer d'une expérience très ancienne en matière de véhicule électrique !
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maseramo
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Bon, est venu le temps d'attaquer le plus gros chapitre au sujet des ingénieurs Maserati, si j'ose dire le "plat de résistance" de ce festin technico-historique !

Demandez à n'importe quel féru de Maseratisme de vous citer un ingénieur mythique de la marque, mais un seul : il vous répondra "Giulio Alfieri" sans la moindre hésitation. Giulio Alfieri se détache complètement du peloton des ingénieurs du Trident, il est absolument indissociable de la firme Maserati qu'il tint véritablement à bout de bras et d'intelligence durant 20 ans, de 1955 à 1975, lui faisant vivre des heures glorieuses en course (nombreuses victoires des barquettes S, des Birdcage, de la 250 F championne du monde de Formule 1 en 1957 aux mains de Fangio, beaux succès des Cooper F1 à moteur Maserati des saisons 1966 et 1967) mais assurant aussi la mutation industrielle réussie de l'entreprise vers la production de voitures de tourisme (3500 GT en 1957 puis tous les "montres sacrés" de la route des années 60 et 70). Giulio Alfieri, c'est le monument incontournable de l'ingénierie Maserati ! Un tiers de tous les moteurs Maserati du XXème siècle relèvent de sa paternité !

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Giulio Alfieri, né en 1924, fut diplômé de la prestigieuse école polytechnique de Milan. Il travailla d'abord sur les turbines à vapeur du chantier naval de Gènes puis chez Innocenti en 1949 avant de rejoindre Maserati en 1953 où Gioacchino Colombo remarqua vite ses compétences.

Après le départ de Vittorio Bellentani chez Ferrari fin 1954, ce fut le tout jeune Giulio Alfieri (30 ans en 1954) qui se trouva devenir la tête « pensante et industrieuse » de Maserati avec l’entière confiance d’Omer Orsi qui, comme Gioacchino Colombo, reconnut immédiatement son grand talent. Curieusement, le nouvel ingénieur avait pour nom le prénom du fondateur de la marque Maserati, de sorte que lorsque l'on lisait "Officine Alfieri Maserati" sur les bordereaux d'inscriptions des Maserati d'usine aux courses, certains, à la mémoire courte ou néophytes en la matière, se demandaient pourquoi l'ingénieur plaçait-il son nom devant celui de la marque ?
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Giulio Alfieri à gauche ne sourit pas souvent sur les photos de l'époque. Il apparait, en fait, très concentré sur sa tâche et extrêmement soucieux de ne pas décevoir dans la lourde responsabilité qui lui incomba très précocement. A côté de lui avec les lunettes de soleil se trouve Omer Orsi (le fils d'Adolfo Orsi) qui dirigea Maserati de 1950 à 1968. Tout à fait à droite, nous avons Nello Ugolini (le manager de l'écurie Maserati de formule 1).
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Ci-dessus le triumvirat de choc de Maserati dans les années 50 : Omer Orsi le directeur à gauche en lunettes de soleil, Giulio Alfieri l'ingénieur en chef à droite, et Guerino Bertocchi le technicien en chef-essayeur-metteur au point de dos en casquette. Ces trois là ont réalisé de grandes choses, plaçant souvent les Maserati de Sport et de Formule 1 devant les Ferrari contemporaines.

On voit ci-dessous, penchés sur un moteur 6 cylindres en ligne 2.5 litres 270 cv de 250 F, Giulio Alfieri au centre avec Omer Orsi à droite et le fils de Guerino Bertocchi, le jeune Aurelio en lunettes, alors ingénieur stagiaire, à gauche :
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Ce même moteur dans le fuselage d'une 250 F (notez le refroidissement individualisé par cylindre, le double allumage et la prise d'air dynamique pour les 3 carburateurs avec les efforts pour maintenir l'air un peu sur-pressé par la vitesse du côté des pipes d'admission):
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A partir de l'A6GCM de Colombo, Giulio Alfieri élabora la 250 F en 1954 puis la perfectionna inlassablement jusqu'en 1958, redessinant plusieurs fois le train arrière, déplaçant le réservoir d'huile de dessous les carburateurs sur le flanc droit à la queue ou l'huile était mieux refroidie, instaurant en 1956 la fameuse prise d'air dynamique pour les carburateurs, modifiant et allégeant le châssis (Telaio 2 en 1956), décalant le moteur de 6 degrés pour déplacer sur le côté du pilote l'arbre de transmission (permettant d'abaisser le siège), installant un V12. Il n'y eu pas une 250 F mais au moins 6 ou 7 modèles différents successifs ! Ci-dessous, Juan Manuel Fangio remporte le Grand Prix d'Argentine 1954 pour la première sortie de la 250 F :
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Ci-dessous, à côté d'une 250 F 1955 ou 1956 Guerino Bertocchi à gauche (qui a réglé et rodé personnellement toutes les 250 F), Stirling Moss (pilote d'usine Maserati en 1956) et l'ingénieur Valerio Colotti en chemise à carreaux. Valerio Colotti a beaucoup aidé Giulio Alfieri pour les transmissions et boites de vitesses jusqu'en 1958 :
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Ci-dessous une photo que j'emporterais bien si je devais partir sur une île déserte ! (elle trône aussi au dessus du bureau d'Ivano Campana à Solaro près de Monza) :
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Stirling Moss remporte le Grand Prix de Monaco 1956 sur 250 F.

Ci-dessus la 250 F Telaio 2 à moteur décalé dessinée par Giovanni Cavara qui était le grand spécialiste des dessins en perspective en "éclaté" ("disegno spaccato") :
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Notez la lame transversale de suspension arrière au dessus de l'ensemble boite de vitesses-pont. Notez aussi l'énorme réservoir dont la paroi peinte servait de carrosserie à cet endroit.
Ci-dessous on voit bien l'arbre de transmission passant sur le côté du siège décalé :
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Stirling Moss (en polo noir) remporta avec cette Telaio 2 le Grand Prix d'Italie à Monza en 1956
Ci-dessous, la 250 F "normale" à gauche et l'un des deux exemplaires à siège décalé à droite :
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Ci-dessous Stirling Moss, en train de doubler et de remporter le Grand Prix de Monza 1956, était assis très bas, améliorant le centre de gravité de son bolide qui était cependant légèrement déstabilisé par le décalage à gauche de la boite de vitesse et du différentiel arrière :
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Juan Manuel Fangio contrariait les efforts innovateurs de Giulio Alfieri ! Il préférait l'équilibre absolument parfait de la 250 F "classique" à arbre de transmission sous le siège (quitte à être assis plus haut), et préférait la 6 cylindres à la V12 ! Il fut champion du monde de Formule 1 en 1957 sur cette 250 F plus traditionnelle mais elle aussi constamment peaufinée par l'infatigable Giulio Alfieri qui inaugurait les roues arrières franchement surdimensionnées :
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Ci-dessus et ci-dessous lors du mémorable Grand Prix du Nürburgring 1957.
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La 250 F est l'archétype de la Formule 1 à moteur avant !
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La quantité de travail fournie par Giulio Alfieri dans ces années 1954-1957 fut absolument ahurissante car, en plus d'amener la 250 F à la victoire en Formule 1, il dessina les redoutables et glorieuses barquettes S et créa la routière 3500 GT qui connut un incroyable succès commercial.
Mais patience, on va d'abord dormir un peu :) Faites de beaux rêves ! :D
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Blu Sera
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par Blu Sera »

Merci Maseramo ! Si le concept car Maserati Alfieri, présenté dans le cadre du centenaire, fait explicitement hommage à Alfieri Maserati, on peut penser qu'indirectement Giulio Alfieri mérite aussi de s'en approprier une part, en regard de son exceptionnelle contribution au rayonnement de la marque, et au succès de sa mutation commerciale. Très belle photo de Guerino Bertocchi, qui serait également à sa place dans le sujet dédié ;)
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maseramo
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Grazie Blu. Barth tient en confidence de Fabio Collina, le directeur du département "Maserati classiche", que c'est ce dernier qui a proposé le nom d'Alfieri pour baptiser le concept car du Centenario. Le but était d'honorer Alfieri Maserati comme la Ferrari Enzo avait honoré Enzo Ferrari. Mais c'est vrai qu'un peu d'honneur revient du coup aussi à Giulio Alfieri ! Tant mieux, il le mérite bien ! :)
photo de Guerino Bertocchi placée dans notre considérable photothèque :

http://www.maseratitude.com/viewtopic.p ... &start=270
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par ciscoauto »

Merci pour ce sujet quel régal ! Derrière une grande marque il y a de grands hommes. A ce sujet et puisqu'ils étaient regroupés, quels étaient les relations entre Orsi, Alfieri, les autres ingénieurs ?
Comme dans toute entreprise il peut y avoir des tensions , Ferrari en a quelques exemples avec l'épisode de Madame Ferrari.
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Salut Ciscoauto et merci pour ton intérêt.

L'ambiance semble avoir été vraiment très bonne durant toute la période Omer Orsi (1950-1968) qui avait un caractère beaucoup plus souple que son père Adolfo. Je n'ai retrouvé aucune trace de conflits ni de "clash" comme il y en eut, effectivement, chez Ferrari. Massimino, Colombo, Bellentani étaient partis fin 1953, 1954, 1955 chez Stanguellini, Bugatti, Ferrari parce qu'ils avaient eu des propositions très avantageuses et non pour des raisons conflictuelles. Puis Giulio Alfieri eut l'entière et très justifiée confiance d'Omer Orsi. Le climat était bon !

Il est même souligné à divers endroits que Ernesto Maserati s'était bien entendu et avait très bien collaboré (4CLT, A6 1500 GT) avec Massimino pourtant placé en 1945 par Adolfo Orsi pour remplacer à terme les "fratelli" Maserati.

Par contre, comme on le verra plus loin, le départ en 1975 de Giulio Alfieri fut dramatique : renvoyé par le nouveau patron de Maserati, Alejandro De Tomaso, en représailles du fait que Giulio Alfieri avait soutenu Citroën plutôt que De Tomaso lors d'une tentative de reprise précédente, en 1968 !

A part cet épisode, je crois qu'il y a une notion de fraternité (de sang puis de passion) très forte chez Maserati depuis l'origine. Les "ego" étaient mis un peu de côté. Ce qui comptait, c'était la victoire des voitures Maserati. Chacun donnait ce qu'il pouvait dans ce but. Les "fratelli" peut-être un peu moins doués (Ettore, Bindo), ne se sont pas offusqués et ont laissé les talents d'Alfieri puis d'Ernesto s'exprimer.
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Poursuivons notre périple en compagnie des ingénieurs de Maserati !

En catégorie "Sport", Giulio Alfieri développa dans la même période que l'épopée 250 F (de 1955 à 1958) les barquettes S, extrêmement compétitives. Ci-dessous la 300 S (6 cylindres en ligne, 3 litres) avec Stirling Moss, toujours en casque blanc, au volant :
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La 300 S, en 1955, fut l’aînée de la noble famille des barquettes Maserati « S » et on peut la considérer comme la version route de la 250 F naissante (1954), mais réalésée à 3 litres. Le règlement aurait bien autorisé 3.5 litres en catégorie « Sport » mais il était strictement impossible de faire évoluer le bloc de la 250 F au-delà de 3 litres. Qu’à cela ne tienne, Giulio Alfieri poussa le 6 cylindres en ligne (2 ACT, 2 soupapes par cylindre, double allumage, refroidissement individualisé des cylindres) de la 300 S jusqu'à 260 cv qui lançaient les 780 kg de cette barquette à carrosserie aluminium à 280 km/h.
Sur la photo ci-dessous, on reconnait le moteur de la 250 F simplement réalésé à 3 litres. Le double échappement superposé sur le flanc gauche caractérise les 300 S comme les A6GCS/53 qu'elles remplaçaient :
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Ci-dessus une version précoce "nez court" de la 300 S. Comme sur la 250 F, la boîte de vitesse était accolée au différentiel arrière, assurant une très bonne répartition des masses. On reconnait ci-dessous le châssis tubulaire et les lames semi-elliptiques transversales communes avec la 250 F. Le grand réservoir à droite est celui d'essence, le petit à gauche celui d'huile (rendu nécessaire par le carter sec) :
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Cette 300 S fut auréolée de gloire avec ses victoires aux Grands Prix de Pau et de Bari 1955 (Jean Behra), au Grand Prix de Supercortemaggiore 1955 (Jean Behra, Luigi Musso), au Grand Prix du Venezuela 1955 (Juan Manuel Fangio), aux 1000 kilomètres de Buenos Aires 1956 (Stirling Moss, Carlos Menditéguy), aux tours de Sicile 1956 et 1957 (Piero Taruffi), aux 1000 kilomètres du Nürburging 1956 avec un équipage de folie (Stirling Moss, Jean Behra, Piero Taruffi, Harry Shell) aux 5 heures de Messine 1956 (Franco Bordoni) sans parler d’une ribambelle de places d’honneurs …
Ci-dessous Stirling Moss mène à la victoire la 300 S au 1000 km du Nürburgring 1956 :
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Les autres barquettes S ne déméritèrent pas ( Nürburgring 1955 pour Jean Behra sur 150 S, tour de Sicile 1957 avec Giorgio Scarlati et Grand Prix de Pergusa 1959 avec Nino Vaccarella pour la 200 S, 12 h de Sebring 1957 avec Juan Manuel Fangio et Jean Behra pour la 450 S).

Ci-dessous, la 150 S se caractérise par ses ailes arrière proéminentes :
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Giulio Alfieri tenait à ce que l'équilibre de la 150 S soit parfait. Ainsi, il plaça la boite de vitesses contre le différentiel arrière, comme pour sa grande sœur 300 S. Le 4 cylindres de la 150 S (140 cv) conservait le double allumage et les 2 arbres à cames en tête mais n'avait pas de refroidissement individualisé des cylindres, la brièveté du moteur rendant cette précaution moins utile (aucun cylindre n'étant très éloigné de l'arrivée par l'avant du bloc de l'eau refroidie) :
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Les 200 S (photo ci-dessous) ont une finesse absolument extraordinaire. Ce sont sont peut-être les barquettes S les plus pures :
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Mais la plupart des 200 S reçurent la boite de vitesse accolée au moteur (avec un équilibre en course un peu inférieur à celui des 300 S, 150 S, 450 S) :
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Sur la 200 S, le moteur 4 cylindres double allumage de la 150 S (sans refroidissement individualisé) avait été poussé par Giulio Alfieri à 2 litres et délivrait 190 cv à 7200 tr/mn ce qui, avec un poids de 660 kg, autorisait 260 km/h.

Je vais maintenant vous parler de l'histoire du V8 Maserati qui illustre à merveille le fonctionnement de l'usine du Trident dans les années cinquante. Tout commença en 1956 par la commande spéciale de 2 moteurs Maserati V8 de 4.2 litres, commande émanant d'un italo-américano-californien du nom de Tony Parravano qui souhaitait les monter dans des châssis Kurtis Kraft en vue des 500 miles d'Indianapolis.
Giulio Alfieri et son acolyte Valerio Colotti ressortirent d'un placard le projet d'un V8 à 90 degrés quatre arbres à cames en tête, initié par Gioacchino Colombo et Vittorio Bellentani dès 1953, mais qui avait été abandonné après la catastrophe survenue aux 24 heures du Mans 1955. Ce furent là les deux tout premiers moteurs V8 Maserati d'après guerre, mis au point, réglés puis rodés dans une caisse de 300 S, enfin expédiés depuis Modène aux USA et payés 15 000 dollars pièce, soit pour chacun plus que le prix d'une Ferrari de course complète neuve ! Giulio Alfieri obtint l'accord d’Omer Orsi afin de profiter de cette commande et de ce tout nouveau moteur poussé à 4.5 litres pour développer une barquette Sport en vue de la saison 1957. Ce fut la redoutable 450 S.
Voici ce mythique moteur V8, un véritable chef d'oeuvre mécanique :
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Ce moteur très compact de 4.5 litres, 4 arbres à cames en tête, 4 carburateurs Weber 45, double allumage, refroidissement individualisé des cylindres, délivrait 400 cv et propulsait la 450 S à plus de 300 km /h ce qui en faisait la plus rapide des voitures de course des années 50. Ci-dessous vu par l'arrière (pas de boite de vitesses derrière l'embrayage : elle est accolée au différentiel arrière de la 450 S) :
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Bien né pour la course, ce V8 absolument mythique du Maseratisme aura une carrière "civile" extrêmement longue, équipant (dans ses évolutions 5 ou 4.2 ou 4.7 ou 4.9 litres) les Maserati de route jusqu'en 1990 (5000 GT, Quattroporte I, Mexico, Ghibli I, Indy, Bora, Quattroporte II Frua, Khamsin, Kyalami, Quattroporte III) !
Ci-dessous Juan Manuel Fangio, en équipage avec Jean Behra, remporte les 12 H de Sebring 1957 avec la Maserati 450 S :
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Notez les lunettes de rechange au cou de Fangio (en cas de verres brisés par les gravillons projetés par les voitures concurrentes) ! La 450 S se reconnait à ses échappements droits et gauche sortant par les extracteurs d'air. Pour sa première année de course, la Maserati 450 S fut vice championne du monde en catégorie Sport en 1957 (derrière Ferrari) alors que la 250 F était championne du monde de Formule 1 (devant Ferrari) ! Giulio Alfieri, bonifiant au maximum l'héritage technique laissé fin 1953 par Gioacchino Colombo, participa grandement à cette formidable compétitivité des Maserati des années 50.

Jusqu'en 1958, on peut dire que Maserati était au coude à coude avec sa voisine Ferrari (Maranello est à 15 km de Modène !), voire même souvent légèrement devant Ferrari, aussi bien en catégorie Sport qu'en Formule 1.

Puis le métier de l’usine Maserati changea alors. Le fabricant quasi-exclusif de voitures de course qui commettait quelques "stradale" devint en 1958, et avec la 3500 GT, un constructeur de véhicules de tourisme luxueux et sportifs qui faisait encore quelques voitures de course. C'est Giulio Alfieri qui fit prendre ce virage industriel à Maserati.

Ci-dessous le prototype 3500 GT carrossé par Touring, présenté au salon de Genève 1957 et surnommé "la dame blanche" :
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Giulio Alfieri créa en 1957 la 3500 GT qui connut un succès considérable malgré un prix astronomique (2225 exemplaires de 1957 à 1964 alors que les Maserati routières A6 1500 GT, A6G et A6G54 réunies ne totalisaient ensemble que 137 exemplaires de 1947 à 1957 !).

Maserati, qui avait produit jusque-là presque exclusivement des voitures de course et qui venait d’être sacrée championne du monde de Formule 1, commercialisait fin 1957 un sublime coupé routier à carrosserie Touring dont le moteur ne différait guère de celui de Formule 1 si ce n’est par la cylindrée augmentée : bingo ! Vous imaginez l’argument marketing, vous pouviez acheter en 1958 pour la route la F1 championne du monde 1957 ! Habilement, Giulio Alfieri avait laissé supposer que la 3500 GT était l’évolution routière de la 250 F. Sur un grand nombre de points c’était assez vrai avec, dans les deux cas, six cylindres en ligne, deux arbres à cames en tête, double allumage, admission trois carburateurs à droite, échappement à gauche. Le bloc 2.5 litres 270 cv de la 250 F n’avait cependant pas les mêmes cotes que le 3.5 litres 220 cv de la 3500 GT, historiquement plus récent. Mais peu importait ce détail tant les gènes "course" habitaient puissamment le moteur du nouveau coupé emporté avec aisance, malgré ses 1300 kg, jusqu’à 230 km/h, ce qui constituait une performance de premier ordre à l’époque.

La 3500 GT :
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Dans les années 90, quand on demandait à Giulio Alfieri quelle avait été sa plus belle satisfaction professionnelle : la réussite de la 250 F ? L’exploit technique de la Birdcage ? Eh bien non. Le grand ingénieur répondait invariablement que le succès commercial de celle qu’il appelait toujours la Tipo 101, la 3500 GT, fut sa plus grande joie : « à certains moments, nous sommes tous de grands sentimentaux ; voir l’usine bien fonctionner et l’objet que vous avez conçu et construit se vendre si bien partout dans le monde est un moment de pur plaisir ! ».

Giulio Alfieri savait que Maserati misait gros sur cette voiture, ni plus ni moins que sa survie en fait. Il fit tout pour qu’elle fût un succès.

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Ci-dessus le six cylindres en ligne Maserati de 3.5 litres, avec ses deux bougies et deux soupapes par cylindre, déjà bien testé en course sur la 350 S de Stirling Moss, donnait 220 cv en version civile grâce à ses nouveaux ACT issus de la compétition et malgré le retour à la distribution par chaîne et au carter désormais humide.

Le châssis de la 3500 GT était bien sûr tubulaire et Alfieri décida, pour augmenter la fiabilité de la 3500 GT, de faire appel à un grand nombre de composants longuement éprouvés et de marques reconnues. Ainsi choisit-il attentivement un embrayage anglais Berg and Beck, une boîte 4 vitesses ZF allemande (accolée au moteur), un arbre de transmission Hardy Spicer et un pont arrière anglais Salisbury. La direction à bille venait de chez Burman et la suspension avant de chez Alford et Alder (la même que sur les Jaguar). Girling fournissait les amortisseurs et les freins à tambour ailetés, Borrani les jantes.

Giulio Alfieri avait vraiment fait son marché dans ce qui se faisait de mieux à l’époque. Mais gérer l'assemblage à relativement grande échelle (environ 10 voitures par semaine) de ce puzzle européen demandait une grande attention quant à la régularité des approvisionnements auprès de tous ces fournisseurs.

Omer Orsi et Giulio Alfieri à l'usine via Ciro Menotti sous le capot d'une 3500 GT:
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La sublime version découvrable de la 3500 GT, le spider "Vignale" sorti en 1960, fut dessiné par Giovanni Michelotti pour Vignale :
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Pour vous aider à vous repérer au début de l'action de Giulio Alfieri :
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Si la 250 F et les barquettes S furent très justement signées par Giulio Alfieri qui les "projeta" (comme on dit en Italie) et les développa largement, leurs fondements remontaient au grand Gioacchino Colombo en 1953.

La 3500 GT et la "Birdcage" furent plus exactement des œuvres propres à Giulio Alfieri de A à Z. L'originale "Birdcage" surtout, naquit directement de son esprit inventif qui, n'oubliant pas la compétition malgré le succès de la 3500 GT, imagina un châssis révolutionnaire pesant une quarantaine de kilogrammes seulement, fait d’un treillis de 200 petits tubes creux très fins (de 10 , 12 ou 15 mm de diamètre) réalisés en acier de 1 mm d’épaisseur :
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Le nom de "Birdcage", cage à oiseau, s’imposa de lui-même pour cette Tipo 60 (2 litres, 200 cv) ou Tipo 61 (2.9 litres, 250 cv). Les moteurs quatre cylindres en ligne, deux ACT, double allumage (deux bougies par cylindre), refroidissement individualisé des cylindres étaient inclinés de 45 degrés sur la droite pour abaisser au maximum le capot (réduisant la surface frontale) et le centre de gravité. Les Birdcage sont les seules Maserati à moteur en ligne où l'admission se fait à gauche et l'échappement à droite.
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La boîte cinq vitesses était solidaire du différentiel arrière. En version 2 litres, la Birdcage ne pesait que 570 kg et filait déjà à 270 km/h, en 2.9 litres c’était 600 kg et 285 km/h !
Giulio Alfieri était tellement excité par ce concept de châssis en treillis de tubes fins que, par peur d’un refus d’Omer Orsi ou surtout des banques, il fit réaliser le tout premier exemplaire de Birdcage (un Tipo 60) "à l’insu des propriétaires" selon sa propre expression ! En effet, le contrôle judiciaire bancaire (Maserati était sous contrôle bancaire à cette époque à cause des dettes du groupe Orsi) aurait rechigné à donner son feu vert au projet "Birdcage", extrêmement original, pour ne pas dire totalement expérimental et financé directement par l’usine ! Ne pouvant renoncer à concrétiser son idée, Giulio Alfieri préféra mettre tout le monde devant le fait accompli.
Giulio freine trop tard en 1959 avec le prototype Birdcage Tipo 60 à moteur avant et finit dans le gravier de la cour de l'usine Maserati à Modène :
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Pour sa première Birdcage, Giulio Alfieri utilisa par mesure de sécurité des tubes très rigides en acier chromé extrêmement onéreux. Il trouva un "bel oiseau anglais" à mettre dans la cage, confiant en mai 1959 le couteux prototype Tipo 60 au grand Stirling Moss en personne qui effectua les premiers essais sur "l’Autodromo di Modena" et fut d’emblée conquis par l’équilibre naturel de la voiture. Je crois qu’Alfieri ne dormit guère la veille de cet essai. Ne s’était-il pas trompé dans les calculs de résistance du châssis ? N’allait-il pas tuer un grand pilote ? Omer Orsi, mis au courant par hasard du projet Birdcage deux semaines auparavant en découvrant ce prototype inconnu dans l’usine (c’est quoi ça ?), n’avait toujours pas osé en parler aux banques. Ci-dessous les essais du prototype Birdcage. A gauche Nello Ugolini (le manager de l'écurie Maserati de Formule 1 en 1957) puis Stirling Moss puis Giulio Alfieri, dans le cockpit le grand carrossier Medardo Fantuzzi fignole la charnière :
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Stirling Moss sur l'autodromo di Modena a immédiatement compris le grand potentiel de cette barquette :
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Tous, Alfieri, Orsi, Moss, eurent une frayeur rétrospective en examinant à la loupe la "cage à oiseau" du prototype après les essais : on s’aperçût que des fissures apparaissaient sur les tubes autour des centaines de soudures, menaçant la vie du pilote en cas de rupture à grande vitesse. Ermanno Cozza, le jeune assistant d'Alfieri, eut alors une intuition assez géniale : considérant que l’acier chromé était trop rigide, transmettant toutes les contraintes sur les soudures, il proposa à Giulio Alfieri de réaliser les châssis ultérieurs en acier ordinaire et plus aucune fissure n’apparut ! Ermanno Cozza, ci-dessous à gauche, se trouva jouir dès lors d'une aura considérable et justifiée chez Maserati à laquelle il fit toujours grand honneur :
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Le même prototype Tipo 60, mais avec son nouveau châssis en acier banal, remporta l’été 1959 lors de sa première course son premier succès à Rouen-Les-Essarts aux mains d’un Stirling Moss enthousiasmé.
l’écurie américaine Camoradi,dirigée par Lloyd Casner (dit "Lucky" Casner), commanda cinq Tipo 61 dont au moins une à queue longue et pare-brise plongeant. Les voitures de cette écurie portaient les couleurs classiquement américaines. Elles étaient blanches avec une bande bleue, livrée devenue depuis lors symbolique voire mythique de la Birdcage :
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Camoradi signifiait CAsner MOtor RAcing DIvision.

En courses internationales, les Birdcage (surtout celles de Camoradi) remportèrent de nombreuses victoires dont les plus belles furent les 1000 kilomètres du Nürburgring 1960 (Tipo 61 avec Piero Taruffi, Stirling Moss et Dan Gurney) et 1961 (Tipo 61 avec Stirling Moss, Masten Gregory et "Lucky" Casner). Ci-dessous, Stirling Moss (qui adorait la Birdcage autant qu'il avait apprécié la 250 F et la 300 S) conduit la Birdcage Camoradi à la victoire aux 1000 km du Nürburgring 1960 :
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En courses nationales, Odordo Govoni et Menatto Boffa écumèrent les grandes classiques italiennes jusqu'en 1964 avec leurs Birdcage 2 litres à moteur avant. Ci-dessous le pilote émilien Odoardo Govoni, qui acheta sa Tipo 60 en mai 1960, fut le pilote le plus titré sur une Maserati Sport avec plus de 40 victoires sur Birdcage qui lui permirent d’être deux fois champion d’Italie !
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Les Birdcage Tipo 63/64/65 à moteur central arrière (4 cyl de 2.9 litres puis V12 de 3 litres puis V8 de 5 litres) connurent moins de succès que leurs devancières à moteur avant essentiellement à cause de bris de transmissions arrière sur ces nouvelles voitures à roues indépendantes. Ci-dessous, la Tipo 63 (63 008 LWB) avec son 4 cyl de 2.9 litres et 250 cv pour 630 kg fut 4ème à la Targa Florio 1961 (équipage Maurice Trintignant, Nino Vaccarella). Elle est très belle et fine avec son châssis et son nez longs tout en conservant le saute-vent "bulle" des premières Tipo 63 :
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Ci-dessous 63 002 SWB avec un nez long, un pare-brise d'Alfa Sprint Speciale et un V12 de 3 litres 310 à 320 cv à échappement direct "mitragliatrice". Poids mesuré à sec : 775 kg. On la voit ci-dessous au Mans 1961 où elle termina 4ème aux mains de Dick Thompson et Augie Pabst :
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Ci-dessous la Birdcage Tipo 65 à moteur central V8 (la descendante des Birdcage Tipo 63 et 64 à moteur arrière) à Monza en juin 1965. De gauche à droite l'ingénieur Giulio Alfieri (comme souvent les mains dans les poches), Guerino Bertocchi penché sur le pilote Umberto Maglioli et John Simone (l'importateur Maserati pour la France avec son associé Jean Thépeunier) en costume noir-col blanc qui observe le capot de sa 65 002 qui va courir au Mans dans quelques jours mais sans succès :
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maserachti »

Quel sujet passionnant et agréable à lire !
Franchement, je suis impressionné par la précision des détails techniques et historiques, chapeau Maseramo :!:

Question qui m'intrigue : la couleur de carrosserie "Grigio Alfieri" bien connue des maseratistes, est-elle un hommage à l'ingénieur Alfieri ou au prénom d'un des frères Maserati ?
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Merci Maserachti, je suis content que ça te plaise ;)

C'est en premier Alfieri Maserati qui est honoré dans ces rappels du mot "Alfieri", présent dans l'intitulé même de l'entreprise ("Officine Alfieri Maserati") et indissociable de Maserati. C'est étonnant que ce prénom ait été le nom du plus important ingénieur de la marque qui, du coup, se trouve aussi associé à Maserati et honoré. Il le mérite largement :)
Qui sait même si Giulio Alfieri n'a pas été, consciemment ou pas, attiré par Maserati à cause du prénom du fondateur de la marque ?
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par ciscoauto »

Merci Maseramo pour ce détails des relations, je lis la suite avec énormément de plaisir. C'est une idée géniale de voir Maserati par ce point de vue!
On y est pas encore mais le sauvetage par De Tomaso aura été un passage délicat. Au de là des ingénieurs, l'importateur américain (qui a pourtant vendu des Quattroportes et beaucoup de biturbos) en a gardé un mauvais souvenir.
François. Quattroporte III
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par Sergio_222 »

Un immense merci Maseramo pour nous faire profiter de l'histoire notre marque préféré à travers ce récit, derrière lequel on devine un travail de documentation titanesque... :Maze C'est passionnant, et çà nous permet de réaliser à quel point ces hommes de talent ont contribué à l'aura de la marque au cours de son premier siècle d'existence !
Bravo.
Serge.
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Ciao Ciscoauto et Sergio, merci pour vos encouragements ! :)
Ha l'époque DeTomaso, ce sera épique, surtout au début !
La documentation s'est faite peu à peu depuis 7 ans déjà, surtout pour l'écriture de La Storia et de La Famille des Maserati A6. Mais il y a toujours à apprendre et approfondir. Je crois que le sujet "Maserati" :Maze est quasiment inépuisable ! :D
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

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Si vous voulez, pour avancer dans la longue période d'activité de l'Ingeniere Giulio Alfieri et pour achever le tableau ci-dessus où apparait seulement le début de son rôle, nous allons poursuivre avec les Cooper-Maserati de Formule 1, quitte à revenir un peu en arrière ensuite.

Maserati motorisa les Cooper de Formule 1 lors des saisons 1966 et 1967. Giulio Alfieri ressortit pour l'occasion le V12 qu'il avait dessiné en 2.5 litres en 1957 pour la 250 F et qu'il avait ensuite placé dans une des 350 S (réalésé en 3.5 litres) et dans les Birdcage à moteur central arrière (en 3 litres). Ce V12 Maserati avait l'admission pour chaque banc de cylindres entre les deux arbres à cames en tête :
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Sur la Cooper T 81 de 1966, les cotes du V12 Maserati réalésé à 3 litres étaient super carrées 70.5 X 64, la course courte autorisant le régime extraordinaire de 9500 tours par minute. Avec l’injection indirecte Lucas, un double allumage (24 bougies) et un taux de compression à 10 : 1, la puissance offerte par ce noble V12 de 3 litres nommé Tipo 9 atteignait 360 cv, malgré seulement 2 soupapes par cylindre. La T 81, toute en aluminium, pesait 590 kg.


Pour la fin de la saison 1967, l'infatigable Giulio Alfieri redessina le V12 Maserati en lui octroyant deux soupapes d’admission (aspirazione) et une grosse d’échappement (scarico) par cylindre (tiens-tiens, comme sur les futures Biturbos de 1981 !). Ce nouveau Tipo 10 donnait 390 cv à 10 000 tours par minute. Ce moteur Tipo 10 avait l'admission au centre du V comme on le voit dans le dos de Jochen Rindt sur la photo ci-dessous :
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(c'est l'équipe Cooper-Maserati qui révéla le grand talent de Jochen Rindt)
La T 86 (qui ne fut prête qu'à la mi-saison 1967) se reconnaît facilement car elle est beaucoup plus fine que la T 81, a des ébauches d'ailerons avant, des jantes pleines et le moteur Tipo 10 à admission centrale. La T 86 est en alliage Elektron (le même alliage de magnésium que celui fourni par Isotta-Fraschini aux frères Maserati avant la guerre) et pèse 560 kg soit 30 de moins que la T 81 en aluminium :
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A ma connaissance, à la différence des autres moteurs de course Maserati, le V12 ne connut pas d'utilisation "civile" routière.


Ci-dessous, observant le moteur V12 Maserati de la Cooper de Formule 1 de 1966, l'ingénieur Giulio Alfieri (comme souvent le visage soucieux) et le pilote John Surtees :
Image


Les deux Cooper-Maserati T 81 "nez long" de John Surtees et de Jochen Rindt roues dans roues à Brands Hatch en 1966 (le Grand Prix d'Angleterre se disputait alternativement une année à Silverstone, une année à Brands Hatch) :
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Ci-dessous John Surtees remporte le Grand Prix de Mexico 1966 sur une Cooper-Maserati T 81 "nez court" :
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Les résultats de l’équipe Cooper-Maserati au championnat 1966 de formule 1 furent très honorables avec une 2ième place de Jochen Rindt au Grand Prix de Belgique (premier podium de la carrière du jeune autrichien), les 2ième et 3ième places de John Surtees et Jochen Rindt au Grand Prix d’Allemagne, leurs 2ième et 3 ième places mais en ordre inversé au Grand Prix des USA et la victoire de John Surtees à Mexico en fin de saison. Finalement, John Surtees se classa 2ème du championnat pilote 1966 et Jochen Rindt 3ième alors que Cooper-Maserati prenait la 3ième place du championnat constructeur derrière Ferrari et Brabham, troisième place constructeur également obtenue en 1967 malgré de moins bons résultats sinon la victoire à Kyalami de Pedro Rodriguez. Contrat très honorablement rempli donc, par Giulio Alfieri, dans sa motorisation efficace en Formule 1 en 1966 - 1967.
Dernière modification par maseramo le dim. 10 avr. 2016 10:05, modifié 2 fois.
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Revenons légèrement en arrière !
Le tableau ci-dessous décrit la seconde partie de l'action de Giulio Alfieri (seules la Kyalami et la Quattroporte III furent l'œuvre de son successeur, Aurelio Bertocchi) :
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Comme vous pouvez le constater, le travail de Giulio Alfieri fut prodigieux et, sur cette page, se trouvent inscrits de nombreux "monstres sacrés" du maseratisme que nous lui devons.

En 6 cylindres en ligne tout d'abord, la Sebring (Giovanni Michelotti pour Vignale, photos ci-dessous) compléta en 1962 la 3500 GT (Touring) qui resta quand même au catalogue jusqu'en 1964 :
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La Mistral (Pietro Frua) compléta en 1963 la Sebring qui resta au catalogue jusqu'en 1968 :
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Pour les dernières 3500 GT (appelées pour la circonstance 3500 GTi), pour toutes les Sebring et toutes les Mistral, Giulio Alfieri opta pour une alimentation du 6 cylindres en ligne Maserati par injection indirecte Lucas :
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Cela était très hardi à l'époque car seuls Mercedes et Peugeot proposaient alors dans leur gamme "tourisme" des moteurs à injection. Giulio Alfieri, infatigable travailleur comme vous avez déjà pu le constater, avait testé l'injection sur les 250 F usine de la saison 1956 mais avec Bosch qui équipait aussi les Mercedes. Il fut déçu car il retourna avec succès aux carburateurs pour la victorieuse saison 1957.

L'injection Lucas faisait par contre des merveilles sur le 6 cylindres en ligne routier des 3500 GTi, améliorant la souplesse, les reprises, le confort d'utilisation. Cette injection Lucas a une mauvaise réputation en terme de fiabilité et beaucoup de collectionneurs de Sebring et de Mistral l'ont remplacée par des carburateurs. C'est même ce côté capricieux des Maserati à injection des années 60 qui a poussé Alejandro De Tomaso à imposer à ses ingénieurs le carburateur Weber sur les premières Biturbo de 1981 à 1986.
Interrogé sur le sujet dans "Rétroviseur", Bernard Guénant (l'un des meilleurs spécialistes français actuels de Maserati, responsable de l'atelier Carrossimo et de la concession Maserati de la Roche-Sur-Yon) déclare :"L'injection Lucas, si décriée, n'est pas aussi capricieuse qu'on veut bien le dire. Il faut simplement penser à faire rouler la voiture le plus souvent possible car elle a tendance à se gripper sous l'effet de l'inaction."

Alors que la 3500 GT ne connut qu'une cylindrée de 3.5 litres (220 cv en carbu ou 235 cv en injection), Sebring et Mistral disposèrent de trois cylindrées au choix toutes à injection : 3.5 ou 3.7 ou 4 litres (respectivement 235, 245, 255 cv). Les moteurs étaient identiques sur Sebring (2+2) et Mistral (stricte 2 places).


A bientôt pour le vaste et passionnant chapitre des Maserati V8 !
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par Domi13 »

Merci Maseramo.

Quelle richesse et passions.
On a eu le privilège d'admirer une Birdcage au dernier Dix milles tour du castelet l'an dernier.
Dominique
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par SMART »

maseramo a écrit :Cela était très hardi à l'époque car seuls Mercedes et Peugeot proposaient alors dans leur gamme "tourisme" des moteurs à injection. Giulio Alfieri, infatigable travailleur comme vous avez déjà pu le constater, avait testé l'injection sur les 250 F usine de la saison 1956 mais avec Bosch qui équipait aussi les Mercedes.
Oui mais l'injection Bosch de cette époque était directe c'est à dire que l'injection se faisait directement dans la chambre de combustion contrairement à la Kugelfisher de la Peugeot qui était indirecte (dans les tubulures d'admission).

Pour la petite histoire Bosch avait développé cette technologie révolutionnaire et futuriste au début des années 30 pour l'aviation et notamment les moteurs Mercedes-Daimler des Messerschmitt et dont le gros avantage par rapport aux carburateurs (des Spit en particulier) était de ne pas désamorcer.

Dès la fin de la guerre cette technologie a été adaptée à l'automobile toujours chez Mercedes d'abord en competion puis commercialisé sur les 300SL Papillons (1955) puis Cab.

Pour l'anecdode il se dit que cette l'adaptation sur les 300SL était soumis à des brevets Citroen... le monde est petit !

L'injection (indirecte) Kugelfisher est plus récente et sera commercialisée (beaucoup) plus tard vers 1962-63...
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Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Domi13 a écrit :Merci Maseramo.

Quelle richesse et passions.
On a eu le privilège d'admirer une Birdcage au dernier Dix milles tour du castelet l'an dernier.
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Ciao Domi, effectivement quelle chance on a eu de découvrir ensemble en détails cette merveille :
http://www.maseratitude.com/viewtopic.php?f=12&t=3772
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