Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Image Image ImageImage
Image
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

SMART a écrit :
maseramo a écrit :Cela était très hardi à l'époque car seuls Mercedes et Peugeot proposaient alors dans leur gamme "tourisme" des moteurs à injection. Giulio Alfieri, infatigable travailleur comme vous avez déjà pu le constater, avait testé l'injection sur les 250 F usine de la saison 1956 mais avec Bosch qui équipait aussi les Mercedes.
Oui mais l'injection Bosch de cette époque était directe c'est à dire que l'injection se faisait directement dans la chambre de combustion contrairement à la Kugelfisher de la Peugeot qui était indirecte (dans les tubulures d'admission).

Pour la petite histoire Bosch avait développé cette technologie révolutionnaire et futuriste au début des années 30 pour l'aviation et notamment les moteurs Mercedes-Daimler des Messerschmitt et dont le gros avantage par rapport aux carburateurs (des Spit en particulier) était de ne pas désamorcer.

Dès la fin de la guerre cette technologie a été adaptée à l'automobile toujours chez Mercedes d'abord en competion puis commercialisé sur les 300SL Papillons (1955) puis Cab.

Pour l'anecdode il se dit que cette l'adaptation sur les 300SL était soumis à des brevets Citroen... le monde est petit !

L'injection (indirecte) Kugelfisher est plus récente et sera commercialisée (beaucoup) plus tard vers 1962-63...
Merci Smart pour ces précisions hyper-intéressantes. Je ne savais pas que l'injection Bosch sur les Mercedes était directe. ça devait être à hyper forte pression ? Elle était indirecte (dans les tubulures d'admission) dans le système Lucas équipant les Maserati de route. Effectivement dès 1962.
Grazie Smart :)
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
SMART
V8
Messages : 1169
Inscription : jeu. 3 nov. 2011 10:16

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par SMART »

maseramo a écrit :Je ne savais pas que l'injection Bosch sur les Mercedes était directe. ça devait être à hyper forte pression ?
Oui cette injection Bosch c'est une très vieille et longue histoire qui a commencé dès les années 20 sur les moteurs à huiles lourdes (que l'on appelait pas encore à l'époque des Diesel) par le fondateur Robert Bosch et donc l'utilisation sur les moteurs à essence en aviation était déjà une adaptation.

Sur ces moteurs la pression d'injection était autour de 50 bars ensuite sur les 300SL elle a été ramenée à 40 bars mais l'histoire ne s'arrète pas la car cette injection mécanique est ensuite devenue indirecte (sur les 220SE...) des années 60 et la pression est tombée à 20 bars.

Ensuite c'est toujours cette même injection (indirecte) qui a évolué pour devenir le summum de la technologie des années 70 : L'injection électronique (Djetronic - pression 2 bars)...

Oups on est un peu hors sujet non ?
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Non non, c'est super intéressant cette évolution dans les systèmes d'injection. Merci Smart pour toutes ces infos. Je comprend mieux la suprématie des Mercedes de Formule 1 les saisons 1954 et 1955 (elles avaient une trentaine de chevaux de plus que la concurrence semble-t-il) et le fait que Giulio Alfieri ait voulu essayer ce système Bosch en 1956 après le retrait de Mercedes de la compétition suite à la catastrophe du Mans 1955. Par contre pourquoi ça n'a pas marché sur la 250 F ? La pompe d'injection devait être sacrément costaude pour donner de telles pressions de 40 bars !
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
SMART
V8
Messages : 1169
Inscription : jeu. 3 nov. 2011 10:16

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par SMART »

Vu toutes les questions... :o

il faudrait peut être créer une rubrique "Les techniques" après celles des pilotes et des ingénieurs... :lol:

parce qu'il y a plusieurs bouquins à écrire sur le sujet...

Donc en diagonal pour répondre quand même c'est que de par son principe cette injection (sophistiquée) est spécifique à un moteur donné et n'est donc pas transposable rapidement à un autre moteur...

Elle fonctionne comme les injections actuelles sur une cartographie du domaine d'utilisation du moteur mais ici la "carte mémoire" n'est pas électronique mais mécanique réalisée avec une came bidirectionnelle et des systèmes auxiliaires...
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Merci Smart pour toutes ces notions. :) c
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Avant d'attaquer le vaste et prestigieux chapitre des Maserati V8 de route crées par Giulio Alfieri, quelques petits mots de deux Maserati V8 de course mythiques, toutes deux dérivées par "l'ingénieur des ingénieurs" de Maserati à partir de la fantastique 450 S : l'Eldorado et la Tipo 151/152/154 du colonel Simone.
Image

Afin de participer en 1958 au Trophée des Deux Mondes qui associait les résultats obtenus aux 500 Miles d’Indianapolis et lors d’une course similaire de 500 miles disputée à Monza, "il Signore Zanetti", le président de la célèbre firme italienne de crèmes glacées "Eldorado", commanda à Maserati une monoplace aux caractéristiques finales ahurissantes : V8 de 4.2 litres et 410 cv, 758 kg et 370 km/h ! Un châssis type 250 F T2 (Telaio 2) renforcé servit de base. Giulio Alfieri y adapta le V8 de la 450 S réalésé à 4.2 litres et on habilla le tout de l’une des dernières carrosseries aluminium réalisées par Medardo Fantuzzi pour Maserati, porteuse d’une dérive ressemblant à celle de la Jaguar type D derrière la tête du pilote et peinte aux couleurs d’Eldorado (blanc avec le logo du gamin chapeauté). C’est l’une des premières voitures de course "publicitaires" aux couleurs et avec le nom du propriétaire-sponsor en grosses lettres sur la carrosserie.
Stirling Moss, avec son inséparable casque blanc, au volant de "l'Eldorado" à plus de 280 km/h sur le virage relevé de Monza (curva alta velocità) en sens, pour une fois, antihoraire :
Image
La boîte de vitesse de la 420 M 58 (4.2 litres Monoposto 1958), placée contre le différentiel arrière, ne disposait que de deux vitesses car, sur l’anneau à virage relevé de Monza comme à Indianapolis, le bolide restait constamment à très haute vitesse (280 à 300 km/h dans les virages et jusqu'à 370 km/h en ligne droite) et tournait en sens antihoraire, ce qui était inhabituel sauf à Indianapolis.

Ce fut Guerino Bertocchi qui assura les premiers roulages et le rodage de la 420 M 58. Après plusieurs centaines de kilomètres, Guerino, à 43 ans, tournait régulièrement en un temps qui lui aurait permis d’être second sur la ligne de départ !
Ci-dessous, Guerino Bertocchi s'extraie de L'Eldorado qu'il est en train de roder/régler aux petits oignons !
Image
Le bolide n'a pas encore ses peintures publicitaires ni son rétroviseur. A gauche, l'ingénieur Giulio Alfieri, les bras croisés et le regard songeur devant l'une de ses innombrables œuvres. Notez le moteur V8 très décalé sur la gauche de l'Eldorado afin que l'arbre de transmission passe sur le côté du siège du pilote, ce qui permettait d'abaisser le siège au maximum (valait mieux à 370 km/h). Les mains dans le moteur, je crois que c'est Ermanno Cozza alors que l'on a probablement le mécanicien Giulio Borsari derrière lui en blanc.

ça y est, la 420 M 58 est devenue l'Eldorado ! elle a reçu ses peintures publicitaires :
Image
Guerino Bertocchi en pull rouge à côté de Giulio Alfieri en anorak beige et Stirling Moss aux commandes (photo dénichée par Blu Sera). Je parirais bien que c'est Medardo Fantuzi de dos, le crâne dégarni et en pull marron.

Ci-dessous, échange de regards lourds de sens ! Fallait quand même une sacrée confiance en l'ingénieur pour pousser ce bolide à 370 km/h dont 280 à 300 en virage relevé !
Image
Pourtant nul n'est infaillible. A Monza en 1958, après un bon début de course aux mains de Stirling Moss, le boîtier de direction se brisa aux 2/3 du parcours, probablement du fait des énormes contraintes mécaniques en virage, entraînant un accident avec glissade sur le rail à plus de 260 km/h dont le pilote sortit indemne car l'Eldorado ne partit heureusement pas en tonneaux ni ne fut éjectée du tremplin latéral que constituait le virage relevé.

C'était la première fois que Giulio Alfieri manquait de tuer Stirling Moss, avant les soudures craquelantes du châssis du prototype Birdcage en 1959 ! Je n'ai pas retrouvé d'interview au sujet de la rupture de la direction de l'Eldorado mais, sachant le caractère soucieux de Giulio Alfieri, on imagine sans peine qu'il a du être ébranlé par cet accident, heureusement sans conséquences lourdes.
Car le bolide fut reconstruit en 1959, sans dérive cette fois-ci, mais il ne put se qualifier à Indianapolis sur défaut d’alimentation, malgré la présence sur place de Guerino Bertocchi qui ne parvint pas à réparer la panne. Cet exemplaire unique, dans sa livrée originelle 1958 avec la dérive et le nom de Stirling Moss sur le flanc, se trouve actuellement au merveilleux musée Panini à Modène :
Image
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Giulio Alfieri développa aussi une Maserati spéciale pour Le Mans 1962 avec un moteur V8 de 4 litres issu de la 450 S et développant 360 cv. Cette 151 fut construite à 3 exemplaires : deux blanches pour Briggs Cunningham, importateur Maserati pour les USA, et une rouge pour John Simone, importateur Maserati pour la France.
Guerino Bertocchi va prendre le volant d'une Maserati 151 Cunningham aux 24 h du Mans 1962 :
Image

Le colonel John Simone, héros américain de la seconde guerre mondiale et importateur Maserati pour la France avec son associé Jean Thépeunier à Saint-Cloud, n'eut de cesse, de 1962 à 1965, de tenter d'imposer sa propre Maserati semi privée (la 151 et ses dérivées sur le même châssis) aux 24 heures du Mans, pilotes professionnels au volant. Il ne parvint pas, faute de moyens (une seule voiture engagée à chaque fois) et peut-être de préparation suffisante, à battre l'armada des Ferrari usines et privées qui, à cette époque, monopolisaient les podiums. Mais son courage et sa ténacité émurent le public autant que ses voitures l'impressionnèrent et il inscrivit, par sa lutte inégale mais pourtant très vaillante, quelques belles pages de l'histoire du sport automobile.
Autour de la Tipo 151 sur l'Autodromo di Modena au printemps 1962 et de gauche à droite : Briggs Cunningham en chemise blanche, assez probablement l'ingénieur Gianpaolo Dallara qui fut l'assistant de Giulio Alfieri à l'époque, Albert Momo qui était le chef mécanicien de Briggs Cunningham , John Simone au second plan, Giulio Alfieri expliquant avec ses mains, Omer Orsi le patron de Maserati en lunette de soleil tout à droite :
Image

Giulio Alfieri les mains dans les poches, le second à partir de la droite, observe la sublime 154 (V8 injection de 5 litres 430 cv) prête pour courir Le Mans 1965 :
Image
"Lucky" Casner perdra malheureusement la vie dans cette voiture aux essais préliminaires du Mans 1965 mais la responsabilité de Giulio Alfieri ne fut pas engagée cette fois-ci : la 154 décolla légèrement sur la bosse à la fin des Hunaudières avant Mulsanne et "Lucky" Casner à son volant ne parvint à la contrôler à la réception, ayant peut-être trop soulagé l'accélérateur durant le bref saut, engendrant un effet de freinage des roues arrière en sous régime lors de l'atterrissage. Pour peu que l'auto n'ait pas été parfaitement dans l'axe à ce moment, il s'ensuivit un dérapage incontrôlable et la voiture alla s'écraser à 320 km/h sur des arbres proches, tuant le malheureux pilote.
Après cette bien triste page, mais qu'il faut citer pour rendre hommage à ces hommes courageux, à bientôt pour l'épopée routière du V8 Maserati "de course" !
Dernière modification par maseramo le dim. 24 avr. 2016 17:41, modifié 1 fois.
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Avatar de l’utilisateur
Blu Sera
V12
Messages : 3222
Inscription : sam. 9 mars 2013 16:32
Localisation : 0

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par Blu Sera »

Merci Maseramo pour ces récits épiques, magnifiquement illustrés et schématisés ! Du génie des ingénieurs, de la passion des artisans, de l'inconscience des pilotes, découle l'aura exceptionnel de Maserati aujourd'hui. Un héritage précieux, sur lequel la marque peut capitaliser pour affronter les prochains défis.
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Grazie Blu, le riche passé de Maserati donne en effet une grande valeur émotionnelle aux Maserati actuelles. Quand on achète de nos jours n'importe quelle Maserati, c'est un peu de ce passé que l'on tient entre les mains :) Plus on connait ce passé glorieux, plus les Maserati actuelles, même diesel, même SUV, ont de prix ;) car elles sont la continuité de l'aventure, d'une même aventure.

Image
Si vous le voulez bien, entamons maintenant la belle et longue épopée (de 1958 à 1990) de l'utilisation routière du V8 Maserati né pour la course en 1957 sur la 450 S. Tout débuta de façon assez surprenante et prestigieuse !

En 1958, Omer Orsi avait envoyé à diverses personnalités de la "jet set" une invitation à venir essayer la Maserati 3500 GT. Le Shah d’Iran, Reza Pahlavi, grand amateur d’automobiles, l’accepta volontiers et Guerino Bertocchi, l’essayeur maison, lui mit en main le beau coupé au trident. Quelques temps plus tard, une entrevue eut lieu à l’ambassade d’Iran à Rome où le Shah demanda à Omer Orsi et à Giulio Alfieri de lui fabriquer une voiture de tourisme plus exclusive que la 3500 GT (qu’il appréciait par ailleurs énormément), une voiture qui aurait le moteur V8 de la 450 S ! Giulio Alfieri, les yeux pétillants d’excitation, lui garantit d’emblée les 285 km/h et le Shah acquiesça. Il estimait les italiens et leur caractère passionné. Ainsi naquit la plus extraordinaire "supercar" de la fin des années 50, la Maserati 5000 GT "Shah d'Iran" photographiée ci-dessous dans les jardins du parc de Modène avant sa livraison à son prestigieux propriétaire :
Image
Notez l'évocation de la calandre de la 250 F abritant le Trident

Il faut rajouter une flèche entre 3500 GT et 5000 GT dans le tableau ci-dessus car, plutôt que de transformer une 450 S en véhicule de tourisme, Giulio Alfieri préféra adapter et renforcer le châssis 3500 GT pour recevoir le V8 remanié de la 450 S. La cylindrée fut portée à 5 litres (d’où l’appellation 5000 GT) et le taux de compression passa de 9.5 : 1 à 8.08 : 1. Ainsi, si la puissance diminuait de 400 à 350 cv, la souplesse d’utilisation était incomparable par rapport à la très brutale 450 S. Par contre, la distribution par cascade de pignons fut conservée, fait exceptionnel sur une voiture de tourisme. La boîte quatre vitesses fut accolée au moteur et non plus contre le pont arrière comme sur la 450 S. Le freinage fut confié à des disques à l’avant et des tambours à l’arrière (4 tambours sur 450 S).
Carlo Anderloni, chef "designer" chez Touring, produisit un dessin à la fois puissant et très fluide, bien que la 5000 GT "Shah d’Iran" fut plus courte de 10 cm par rapport à la 3500 GT. Cette impression de fluidité venait du fait que le cockpit était assez court (deux vraies places seulement) alors que capot et coffre demeuraient proportionnellement assez longs. Le coffre égalait d’ailleurs presque le capot par ses dimensions. Ci-dessous la 5000 GT du Shah, première des nombreuses adaptations "stradale" du V8 de course né sur la 450 S :
Image
Cette 5000 GT "Shah d’Iran" de 1958 de couleur bleue fit beaucoup parler d’elle, même si Reza Pahlavi ne parcourut que 6000 kilomètres à son volant. Touring produisit deux autres exemplaires presque identiques (en 1959 et en 1961).

En 1961, une chaîne de distribution remplaça la cascade de pignons, l’injection Lucas succéda aux carburateurs, les culasses furent peintes en vert, la boîte ZF devint une cinq vitesses, les freins adoptèrent des disques sur toutes les roues et, l’exclusivité contractuelle Touring cessant, beaucoup de "grands couturiers" voulurent alors proposer leur vision de la "supercar" la plus fascinante du moment. C’est Allemano qui, sur un dessin de Giovanni Michelotti, obtint le plus de succès avec 19 voitures sur les 34 produites. Détail amusant : les phares de la Maserati 5000 GT Allemano (l'une des voitures les plus chères de l'époque) étaient ceux, par ailleurs très bien intégrés et efficaces, de la Citroën Ami 6 !
ci-dessous une 5000 GT Allemano de 1961 :
Image

Si les trois premières 5000 GT (les Touring) furent équipées de carburateurs, les suivantes reçurent, comme on peut le voir ci-dessous, une injection Lucas et des culasses peintes en vert pâle (couleur que l'on ne retrouve dans l'histoire de Maserati que sur les 5000 GT non Touring) :
Image
Notez ci-dessus le refroidissement individuel des cylindres (tuyau chromé), héritage direct de la compétition
Image
Ces moteurs V8 Maserati des 5000 GT non Touring furent les seuls V8 routiers à recevoir l'injection car Giulio Alfieri préféra ensuite revenir aux carburateurs, plus fiables, qui perdureront toute la suite de la carrière "stradale" du V8 Maserati, c'est à dire jusqu'à la Quattroporte III qui termina sa carrière en 1990.


La Quattroporte I de Pietro Frua en 1963 est, après la 5000 GT, la seconde application routière du V8 Maserati né 450 S :
Image
A partir de la Quattroporte I, Giulio Alfieri ne conserva qu'une bougie par cylindre sur les adaptation routières du V8 Maserati mais les emplacements des secondes bougies restaient visibles sur les couvre-culasses ainsi que les anciennes arrivées du refroidissement individuel des cylindres, elles aussi abandonnées :
Image

Image
On remarque le gros compresseur de climatisation devant le moteur, à l'endroit où se trouvait le système d'injection Lucas sur la 5000 GT.

Avec 230 km/h en 4.2 litres 260 cv et même 255 km/h (usine) en 4.7 litres 290 cv, la Quattroporte I était à l'époque la berline la plus rapide du monde. Ci-dessous, au salon de Turin 1963, le patron Omer Orsi et l'ingénieur Giulio Alfieri devant la Quattroporte I première série à feux rectangulaires :
Image
Toujours avec le V8 de 4.2 ou 4.7 litres, la Mexico remplaça la 5000 GT en 1966. la Mexico disposa de la structure semi-monocoque avec berceau moteur séparé de la Quattroporte I et fut proposée en 4.2 litres (290 cv 250 km/h) ou en 4.7 litres (300 cv 260 km/h). On remarquera que les moteurs de la Mexico étaient franchement plus poussés que dans la Quattroporte I ou même l’Indy qui lui succèdera (pour ces deux dernières : 260 cv en 4.2 litres et 290 cv en 4.7 litres).
Ci-dessous, l'actrice Moira Orfei (parfum de femme avec Vittorio Gassman) devant sa Mexico. Au fond avec ses petites lunettes, le tout jeune ingénieur Aurelio Bertocchi, fils de l'essayeur mythique Guerino Bertocchi qui, assis à la place du passager avant, assure la mise en main au chauffeur de la star !
Image


En 1966, Giorgetto Giugiaro dessina pour Ghia une merveille absolue, l'une des plus belles voitures de l'histoire de l'automobile, la Ghibli I à moteur V8 4.7 litres 330 cv carter sec ce qui autorisait un capot très bas et 270 km/h :
Image
Quand on pense que seulement 7 ans séparent la 5000 GT de 1959 du Shah et son héritière directe, la Ghibli I de 1966 ! L'évolution stylistique des années 60 est extraordinaire !
En 1969, un moteur poussé à 4.9 litres et 335 cv fut proposé en option (standard aux USA après 1970), l’auto prenant alors le nom de Ghibli SS (Super Sport) ou Ghibli Spyder SS et atteignant les 280 km/h.


Mais un événement considérable dans l'histoire de Maserati s'était produit en 1968, le rachat de Maserati par Citroën !
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Avatar de l’utilisateur
ciscoauto
V8
Messages : 1419
Inscription : lun. 28 juil. 2014 11:03
Localisation : 0
Localisation : Munich (Allemagne)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par ciscoauto »

Haaa ce V8, quel moteur fabuleux (un argument majeur qui m'a fait dériver du choix initial d'une biturbo ;) ).
C'est un chef d'oeuvre de beauté, de sonorité, de palmarès et de longévité. Les moteurs nés de la compétition qui ont une telle application et une telle longévité dans la série se comptent sur les doigts d'une main.

Je m'attarde un peu sur la 5000 GT. La 5000 GT est emblématique à plus d'un titre c'est sûrement la Maserati la plus légendaire, surtout dans sa forme initiale que sont les premières Touring. 34 exmplares qui iront vers des clients prestigieux (le Shah D'Iran, Gianni Agnelli , Fernando Innocenti, Basil Read le propriétaire du grand prix de Kyalami, Briggs Cunningham, l'Aga Khan une des personnalité les plus en vue de ses années là, Stewart Granger un acteur hoolywoodien, le président du Mexique et j'en oublie sûrement dans les célébrités).
Dans le contexte aujourd'hui ce serait un mélange de grands chefs d'entreprise, de politiques, d'homme de l'automobile et d'acteurs

Comme tu le montres, la 5000 est le développement du V8 pour le civiliser et le rendre utilisable sur route.
L'entrainement par cascade de pignon des deux premières Touring est rarissime en voiture de route, ca se trouve surtout en compétition et sur les motos. (et quelques... vieux Diesel), ils ne l'ont pas gardé mais une autre Maserati aura ce privilège... l'exceptionnelle MC12 ! Ce que n'avait pas la Enzo dont elle est dérivée.

Chaque 5000 GT est une pièce unique et il me semble que beaucoup ont des cylindrée légèrement différentes, le moteur a constamment évolué. Pas seulement sur l'injection et l'entrainement des arbres à cames. La 5000 GT fut plus qu'une voiture de route exceptionnelle mais aussi un laboratoire pour le développement du V8 pour Alfieri et Bertocchi.

La ligne Touring est extraordinaire, je ne pense pas qu'elle fasse l'unanimité car elle a une "gueule" hors norme.
Pour le plaisir, l'intérieur de la Touring , quel volant! Ce postte de conduite, parsa beauté et sa simplicité n'a jamais été égalé amha.
Image

Ce qui est relativement surprenant c'est que sur l'année 1963. Maserati aurait pu sortir la Mistral avec le V8 ou la Mistral et une autre Super GT avec le V8, mais la première à en hériter c'est la Quattroporte, c'est un choix relativement surprenant et risqué de la part d'Orsi?
François. Quattroporte III
Avatar de l’utilisateur
Blu Sera
V12
Messages : 3222
Inscription : sam. 9 mars 2013 16:32
Localisation : 0

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par Blu Sera »

Somptueux :o Touring a magnifié ce châssis et ce moteur d'anthologie ! Merci Ciscoauto pour cette très belle photo.

Dans un registre certes moins pur, j'ai un petit faible pour la 5000 gt Frua et son mange-disque intégré :mrgreen:

Image
Avatar de l’utilisateur
ciscoauto
V8
Messages : 1419
Inscription : lun. 28 juil. 2014 11:03
Localisation : 0
Localisation : Munich (Allemagne)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par ciscoauto »

Raah les 3 Frua ! Mes préférées. Le mange disque est un détail amusant présent uniquement sur celle de l'Aga Khan, voiture dont la couleur gris mauve est absolument sublime !
Voiture doublement intéressante puisqu'elle préfigure la ligne de la future Quattroporte et que le moteur spécifique de la 5000 GT est l'un des derniers montés et laissera bientôt sa place au V8 régulier. Je ne me lasse pas d'admirer ces 5000 GT :oops:
François. Quattroporte III
Avatar de l’utilisateur
Domi13
V12
Messages : 3347
Inscription : dim. 15 mars 2015 16:51
Localisation : 13
Localisation : Marseille

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par Domi13 »

Sublimes photos
Merci
Image
Brake less and accelerate more.
J.M Fangio

Monica 3200 GTA

Vittoria 3200 GT Future 320S longue "RHD"

Voiture de Madame: Fiat Barchetta ——— Fabia 4200 Spyder
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

GranSport69 nous avait fait une super photo du tableau de bord de la 5000 GT Allemano vue à Cremona pour le Centenaire :
Image
Les 5000 GT se caractérisent par le volant Nardi avec les branches à 8 h 20 et non pas 9 h 15 comme sur la 3500 GT ;)
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

La 5000 GT Frua de l'Aga Khan :
Image
Ciscoauto a raison, son avant (avec les phares en haut en arrière et la calandre en bas en avant) a été repris sur la Quattroporte I Frua de 1963.

A noter que le troisième exemplaire 5000 GT Frua, beaucoup plus plus tardif (1967), ne reçut pas le moteur 5 litres - double allumage - injection - culasses vertes mais un V8 de 4.7 litres de Mexico (simple allumage, 4 carburateurs, culasses noires). Ci-dessous un petit dossier 5000 GT Frua :
http://www.maseratitude.com/viewtopic.php?f=12&t=2214
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Avatar de l’utilisateur
ciscoauto
V8
Messages : 1419
Inscription : lun. 28 juil. 2014 11:03
Localisation : 0
Localisation : Munich (Allemagne)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par ciscoauto »

Je pourrai m'attarder sans cesse sur les détails de cette voiture, la ligne de caisse, le trident incurvée, l'extraordinaire surface vitrée...

D'ailleurs il est amusant de voir qu'il y a eu avec Alfieri et Bertocchi une certaine constance dans les ingénieurs, alors que ca a parfois beaucoup bougé dans d'autres marques.
A l'inverse si les duos Ferrari-Pininfarina et Lamborghini-Bertone étaient établis, les designers des Maserati ont tout le temps changé, Touring avec Anderloni au crayon. la Sebring de Vignale et Michelotti, la Mistral par Frua, Giugiaro pour la Ghibli , Bora/Merak et la Quattroporte 3... etc etc
François. Quattroporte III
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

C'est vrai que Maserati a fait appel à de nombreux designers différents. Mais ils ont heureusement su garder à la marque une unité de style que l'on pourrait qualifier de "sportivité élégante" :)
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Avatar de l’utilisateur
ciscoauto
V8
Messages : 1419
Inscription : lun. 28 juil. 2014 11:03
Localisation : 0
Localisation : Munich (Allemagne)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par ciscoauto »

Tout à fait, et le fait de ne pas être lié à un carrossier en particulier a aussi ses avantages. La diversité des A6 montre que la créativité et la beauté peuvent venir de divers carrossiers/stylistes.
Il y a parfois aussi une part de chance.
Quand Touring présente la 3500 GT, Touring est au sommet de son art, les quelques exemples de l'années 57 en série spéciale ou one off ailleurs le montre (Alfa 1900, DB2/4 Touring), Le plus beau crayon de Giugiaro est arrivé chez Maserati (la Ghibli) . Gandini pour Bertone a réussi des chefs d'oeuvres mais certaines autres créations sont plus douteuses, la Khamsin est, par chance, dans la première catégorie. :)

Pour revenir au sujet, dans une interview (dans le sujet 3500GT), Alfieri rajoute que l'ère Orsi fut particulièrement bonne car l'ambiance qui régnait au sein de la marque était excellente, pas de dissension qui aurait pu créer des problèmes et la relation avec Touring fut de premier ordre.
L'autre point assez important c'est que Maserati sous l'ère Alfieri et contrairement à Ferrari, n'a pas cherché que la performance ou à tout faire en interne mais , et c'est beaucoup plus compliqué, faire une voiture sportive ET confortable (position de conduite, confort sonore) ET pratique ET fiable. :Maze
C'est ce qui démarque Maserati, pas seulement des sportives mais des voitures de voyages. Quand on lit les essais, cela ressort bien, par exemple la ligne de la Lamborghini Countach est un chef d'oeuvre, c'est indiscutable. Mais la voiture est criticable, toutes les commandes sont dures, la position de conduite est infernale, la visibilité arrière nulle et la qualité de construction Lambo est loin des standards Maserati.
A l'inverse la Bora est louée pour son confort, sa position de conduite impeccable, son coffre supérieur à ses concurrentes, tout cela a été pris en compte par Alfieri et ses équipes.
Les Maserati sont des merveilles d'ingéniérie, pas seulement dans la mécanique mais dans toute la conception. Dans un certain sens, cela pourra rappeler Lancia à certains amateur d'italienne.

Dans ce livre de Mike Lawrence.
Image
Alfieri est désigné comme "the best all around engineer", et pourtant l'auteur est un horrible chauvin anglais qui n'hésite pas à critiquer dés que la voiture n'est pas anglaise :mrgreen: , c'est dire la qualité et la reconnaissance du travail d'Alfieri.
François. Quattroporte III
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Merci Ciscoauto pour toutes ces précisions. Je ne savais pas que Giulio Alfieri était à l'honneur dans ce livre. Effectivement, les Maserati étaient des voitures extrêmement plaisantes à utiliser et non des engins de course à peine civilisés ou des œuvres de design destinées uniquement à être regardées. ;)

Poursuivons et achevons, si vous le voulez bien, le parcours de Giulio Alfieri chez Maserati au cours d'années qui, sous Citroën, virent l'apparition de voitures extraordinaires !

Un évènement considérable dans l'histoire des Officine s'est produit en 1968, le rachat de Maserati par Citroën, opération dans laquelle Giulio Alfieri joua un rôle déterminant !

En 1967, Citroën avait lancé un appel d'offre pour se procurer un V6 compact afin de motoriser un futur coupé. Ni une ni deux, Giulio Alfieri tronçonna un V8 Maserati et présenta en trois semaines ce prototype à Citroën. C'est le "Otto meno due" dont on reconnait les couvres arbres à cames tronçonnés avec l'inscription Maserati excentrée :
Image
Cette réactivité absolument extraordinaire (il fallait 6 mois aux concurrents pour présenter un prototype) séduisit la direction de Citroën. Ce moteur unique "otto meno due" est toujours dans les réserves du musée Panini mais la version finale du V6 Maserati, le C114, aura, comme nous le verrons plus loin, une architecture très différente avec un arbre primaire de distribution dans le centre du V.
Au mois de juillet 1967, les Orsi père et fils accompagnés de Giulio Alfieri se rendirent à Paris au siège de Citroën, quai de Javel. Durant toute une journée écrasante de chaleur à la veille des congés annuels, devant 26 ingénieurs français septiques qui voyaient avec un a priori négatif cette intrusion étrangère, Giulio Alfieri détailla son projet de réalisation d’un moteur V6 très compact de 2.5 litres et 170 cv destiné à prendre place en position centrale avant sous le capot du futur coupé Citroën SM (S pour Spéciale ou Sport, M pour Maserati) qui, vaisseau amiral de la marque aux chevrons, se devait d’être une traction. A la fin de cette journée mémorable, Pierre Bercot, le patron de Citroën, conclut avec Adolfo Orsi l’accord de rachat en trois temps de Maserati par Citroën (60 % des parts en décembre 1967, 15 % en juin 1968 et les 25 % restants en juin 1971).
Pierre Bercot, patron de Citroën, était un Maseratiphile convaincu à la différence, malheureusement, de certains de ses successeurs :
Image

Giulio Alfieri dont l'influence aux Officine Maserati était devenue absolument considérable à la fin des années 60, avait beaucoup insisté auprès de la famille Orsi pour que ce soit Citroën et non Alejandro De Tomaso qui lui rachète Maserati. En effet, avec l'appui de sa belle famille actionnaire importante de General Motors et de Ford, De Tomaso avait déjà fait en 1967 une proposition de rachat à Maserati. Giulio Alfieri préférait l'option Citroën, remettant les Officine entre les mains d'une société qu'il jugeait puissante et à fort potentiel technologique dont pourrait parfaitement profiter Maserati.

Ainsi, après la période des frères Maserati (1914-1947) et celle de la famille Orsi (1947-1968), s'ouvrait en 1968 l'ère Citroën qui dura jusqu'en 1975. Dans cette période, contrairement à ce que l'on pense souvent, ce n'est pas le "Quai de Javel" qui imposa sur les nouvelles Maserati l'assistance Citroën haute pression des freins et de la direction, mais bien Giulio Alfieri qui insista pour installer ces raffinements technologiques afin de moderniser les bolides de Modène.
La reprise du "Trident" par les "Chevrons" se fit tout en douceur et en bonne intelligence : Omer Orsi resta à la direction commerciale de Maserati avec un directeur détaché de Citroën à Modène, l'excellent Guy Malleret. Bien sûr, Giulio Alfieri, tête pensante de Maserati, fut maintenu dans ses prérogatives d’ingénieur en chef. Ce dernier se mit immédiatement au travail et créa le V6 de la SM (nom de code C114), ne conservant du V8 Maserati que l'angle d'ouverture à 90 degrés (alors que la plupart des V6 sont ouverts à 60 degrés) pour des raisons essentiellement d'encombrement en hauteur, le capot de la SM étant assez bas. Cet angle à 90 degrés se retrouvera sur toute la génération des V6 Maserati Biturbo mais c'est à peu près le seul point commun entre V8 450 S, V6 C114 et V6 Biturbo qui ont tous les trois des systèmes de distribution différents.
Les ingénieurs de Citroën avaient besoin d’un V6 extrêmement compact pour le loger sous le capot de la SM de façon centrale longitudinale entre la boîte de vitesse en avant et l’habitacle. Ils furent ravis du résultat, le V6 C114 d’Alfieri mesurant seulement 31 cm de long et, tout aluminium, pesant moins de 140 kg. Dans une propulsion, la face avant du moteur est disponible pour entraîner les accessoires. Dans le cas du V6 de la SM, ce côté du moteur avec la chaîne de distribution se retrouvait tourné vers l'habitacle. Il fallait trouver une solution pour amener une énergie motrice vers l'avant à destination des très nombreux accessoires Citroën, notamment la pompe haute pression pour le liquide LHM de suspension hydropneumatique et d'assistance haute pression des freins et de la direction.
Ci-dessous, l'équipage mobile du V6 C114 vu par l'arrière (vu par l'habitacle de la SM) :
Image
Giulio Alfieri imagina l'architecture suivante : le vilebrequin entraînait à l'arrière, par une chaîne primaire, un arbre placé au centre du V. Cet arbre entraînait à son tour par deux autres chaînes secondaires droite et gauche les deux arbres à cames par rangée de cylindres qui ouvraient seulement deux soupapes à 90 degrés par cylindre, comme sur le V8 Maserati. L'arbre au centre du V entraînait vers l'avant, au dessus de la boîte de vitesse, tous les nombreux accessoires électriques et autres pompes haute pression Citroën pour la suspension hydropneumatique et l'hyper-assistance des freins et de la direction.
De plus, les chaînes secondaires d'entrainement des arbres à cames se trouvaient entre le premier et le deuxième cylindre d'un côté et entre le deuxième et le troisième cylindre de l'autre côté. Ainsi, la même culasse pouvait être adaptée sur le banc droit ou le banc gauche sur simple rotation de 180 degrés. C'était là un réel avantage du système : une limitation du nombre de pièces à usiner et donc des coûts de fabrication.
Ci-dessous le C114 avec, en rouge, la sortie de l'arbre central qui va entraîner les accessoires en avant au dessus de la boîte de vitesse :
Image
Notez les disques de freins avant "in board" contre la boite de vitesse de la SM.
Ci-dessous, on voit le petit arbre gris sortant du centre du V pour entraîner la pompe haute pression du liquide LHM et les sphères LHM vertes pour l'assistance suspensions, freins et direction :
Image
Ci-dessous au salon de Turin 1970, Giulio Alfieri, pour une fois souriant, présente le C114 au ministre italien de l'industrie, Silvio Gava. Au premier plan avec ses petites lunettes, Guy Malleret, le directeur adjoint par Citroën à Maserati. Plus en arrière avec le mouchoir blanc à la pochette, Omer Orsi qui conservait des fonctions directoriales, notamment commerciales, à la direction de Maserati :
Image

Cependant, ce brillant moteur C114 connut des soucis de fiabilité avant 50 000 km au niveau de sa distribution compliquée. Ces trois chaînes nécessitaient des régulateurs de tension solides, ce qui n'était malheureusement pas le cas sur les premières séries de moteurs, expliquant les déboires initiaux des possesseurs de SM. Lors des rétrogradages un peu violents, la chaîne primaire pouvait sauter d'un cran quand elle commençait à se détendre après quelques dizaines de milliers de kilomètres ! On verra plus loin combien cette erreur de Giulio Alfieri (peut-être un peu trop sûr de lui à cette époque) pesa assez lourdement sur l'avenir de la marque.
Ci-dessous le C114 vu de 3/4 arrière gauche. Tout initialement, il semble bien n'y avait pas de tendeur de chaîne primaire :
Image

Un tendeur sommaire fut installé assez rapidement sur la chaîne primaire puis de nouveau amélioré :
Image
Les moteurs à tendeur révisé ont un R frappé devant les numéros de la plaque d'identification.
Quelques préparateurs et fiabilisateurs du moteur C114 installèrent même une poulie de tension de la chaîne primaire :
Image
Après avoir mû la Citroën SM en version 2.7 litres (170 cv en carburateur puis 180 cv en injection), ce noble V 6 amélioré (avec de bons tendeurs) sera placé tourné à 180 degrés en position centrale arrière dans la Ligier JS et dans la Maserati Merak en version 2 ou 2.9 litres.



La Citroën SM à moteur Maserati était sans doute la voiture la plus moderne et sûre de son temps :
Image
D'ailleurs, Giulio Alfieri roulait en SM au quotidien, d'abord en V6 puis avec une SM rouge munie d'un V8 expérimental type C114 plus 2.
Dernière modification par maseramo le dim. 15 mai 2016 17:55, modifié 3 fois.
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Avatar de l’utilisateur
maseramo
V20
Messages : 11540
Inscription : dim. 8 janv. 2012 11:00
Localisation : 83
Localisation : Saint-Raphaël (Var)

Re: Les hommes de Maserati : les ingénieurs

Message par maseramo »

Soulignés en orange, les modèles Maserati sortis sous l'ère Citroën :
Image

Contrairement à ce que l'on a pu dire, les années Citroën (1968-1975) ne furent pas stériles pour Maserati, bien loin de là. Seule leur conclusion fut désolante mais, au début, aucune bride ne bâillonna la créativité de l'équipe de Giulio Alfieri, bien au contraire puisque grâce au soutien financier de Citroën et à l'enthousiasme de Pierre Bercot, ces années virent l’apparition de quelques-uns des plus fascinants "monstres sacrés" routiers de l’histoire de Maserati avec un "quatuor fabuleux" : l’Indy, la Bora, la Merak et la Khamsin.

L'Indy (V8 de 4.2 ou 4.7 ou 4.9 litres), sorte de Ghibli 4 places dessinée par Vignale et projetée avant le rachat, fut la première Maserati à sortir sous l'ère Citroën :
Image

L'ingénieur Giulio Alfieri en cravate après un retour de "collaudo" de la Bora par Guerino Bertocchi en noir. (photo Blu Sera).
Image
Ah les plaques "Prova" ! La Bora avait le V8 Maserati 4.7 ou 4.9 litres en position centrale arrière longitudinale.

L'ingénieur Giulio Alfieri, le designer Giorgetto Giugiaro et le directeur Guy Malleret avec le prototype Bora au salon de Genève 1971 :
Image

Giulio Alfieri avec "sa" Bora :
Image

Au salon de Turin 1972, le designer Giorgetto Giugiaro discute avec Giulio Alfieri à droite avec la Boomerang au premier plan (proto à toit vitré sur base Bora) :
Image

la Merak, dévoilée au salon de Turin 1972, nommée cette fois-ci non pas à partir d’un vent mais d’une étoile de la Grande Ourse, équipée du moteur V6 C114 de la SM réalésé à 3 litres pour 190 cv et tout de même 240 km/h :
Image
La Merak est une Bora à moteur V6 et à capot arrière allégé sans verrière !

La Khamsin, dessinée par Marcello Gandini et dernière création achevée de "l’ingeniere" Giulio Alfieri pour Maserati, sortit en 1974 avec le V8 de 4.9 litres carter sec en position avant :
Image


Image
A la sublime (ci-dessus) Quattroporte II Frua (V8 4.9 litres pont rigide de Indy) crée en deux exemplaires sous l'impulsion de l'Aga Kahn, les directions de Citroën et Maserati préférèrent le projet Quattroporte II Bertone, dessinée par Marcello Gandini, voiture tout aussi élégante mais plus moderne et surtout beaucoup plus sobre, une traction avant animée par le moteur V6 de la SM. Ci-dessous la Quattroporte II Bertone :
Image
Mécaniquement, il s’agissait d’une pure SM (le châssis était celui fourni par Citroën à Chapron pour sa SM à quatre portes, l'Opera) mais revêtue d’une belle carrosserie de berline tricorps dessinée pour Bertone par Marcello Gandini, qui venait de commettre la BMW série 5. Si on fait bien attention, il y a d'ailleurs beaucoup de similitudes entre la bavaroise et la Quattroporte II : le capot moteur débordant sur les ailes (en coquille de palourde), l’angle entre le pavillon et le coffre, la pente du coffre, la forme et la hauteur du pare-brise. Par ailleurs, les six phares carénés rappelaient la SM.


Le moteur de la Quattroporte II était le V6 C114 de la SM en version 2.9 litres, 210 cv et distribution renforcée, le même que celui équipant les Merak 2.9 litres. En phase avec les préoccupations du moment, la consommation se trouvait réduite d’un bon tiers au moins par rapport à une berline V8 de 4.9 litres mais au prix d’une vitesse de pointe (200 km/h) très modeste pour une Maserati, la plus modeste depuis la 2000 GT A6G 2 litres de 1950. Les grands attraits de cette voiture résidaient plutôt dans son confort exceptionnel (suspensions hydropneumatiques), son luxe intérieur, sa modernité, sa sécurité de tenue de route, sa grande classe et le prestige de son blason "Maserati". Elle eut été la première Maserati à traction avant si elle avait industriellement vécu et connu la production de série. Elle en était presque à l'entrée en production quand la foudre s'abattit sur Maserati !

En effet, en mars 1975 l’impensable se produisit, le cataclysme survint assez brutalement : Maserati fut mise en liquidation judiciaire par le groupe PSA qui englobait désormais Citroën ! Comment a-t-on pu en arriver là ? Par une conjonction de facteurs, bien sûr, mais dont l’élément essentiel fut le rachat de Citroën par Peugeot qui s’aperçut vite que la SM n’était pas rentable. Un peu à cause des problèmes initiaux de tendeurs de chaînes de distribution qui avaient terni sa réputation, un peu à cause de tout le tapage médiatique sur la crise pétrolière de 1973, les rythmes de vente de la SM se ralentissaient très franchement en 1974. Les dirigeants de PSA, le nouveau groupe comprenant Peugeot et Citroën, sacrifièrent la SM d'autant plus qu'ils avaient déjà dans leurs cartons le nouveau V6 PRV (Peugeot-Renault-Volvo) à 90 degrés comme le Maserati mais ne dépassant pas 126 cv en carburateurs pour 2.6 litres. Ces messieurs de PSA stoppèrent en 1975 la production de la majestueuse Citroën SM à moteur Maserati, le vaisseau amiral, la seule voiture de luxe française, oubliant quelque chose d'essentiel : le rêve, la passion, le désir ! Il ne s'agissait pas seulement de produire des caisses à roulettes comme on ferait des réfrigérateurs ou des machines à laver, mais de créer de l'art et des objets d'extase, surtout concernant Maserati, mais même pour Citroën ou Peugeot. Si de nos jours l’industrie automobile française a tant de mal en haut de gamme face aux voitures allemandes, il faut rechercher les raisons de ce déficit d’image et de capacité onirique ou fantasmatique des décennies en arrière, quand une voiture de 170-180 cv comme la SM paraissait excessive et déraisonnable, une vraie folie !
Durant la période 1970-1974, le moteur C114 fourni à Citroën pour la SM à 12 920 exemplaires représentait la moitié du chiffre d'affaire de Maserati ! Autant dire que la décision d'arrêter la production de la SM en 1975 condamnait Maserati.

Dès l’arrêt de la chaîne SM, la commande quotidienne de la vingtaine de moteurs C114 à l’usine Maserati cessa. Hors cette activité était cruciale pour l’usine de Modène au moment où, ambiance (artificielle) de crise aidant, les modèles Maserati surtout V8 (Bora, Khamsin) se vendaient mal. Maserati se trouva en sureffectifs. Plutôt que de proposer un plan social qui aurait été "houleux" tout en sortant les Quattroporte II V6 puis V8 qui auraient fort bien pu rencontrer le succès (les Jaguar XJ 6 et 12, les BMW 528 puis 728 et autres Mercedes 350 et 450 trouvèrent bien preneurs), le groupe PSA préféra aller au plus court et au plus simple, taillant dans le vif même si le bois n’était pas vraiment mort : Maserati fut déclarée en banqueroute et mise en liquidation. Attention : pas en vente, en liquidation !

Tout cela fut d’autant plus désolant que la "crise" pétrolière était surtout psychologique et amplifiée par la caisse de résonnance des media. Le prix de l’essence avait doublé en deux ans, certes, mais il faut dire qu’elle était particulièrement bon marché jusque-là. Mis à part le textile français qui commençait à délocaliser (mais pas l’italien), l’économie occidentale était tout de même extrêmement active. En fait, la situation "de crise" de 1973 (300 000 chômeurs "professionnels", pas ou très peu de déficit budgétaire des états) ferait rêver les économistes occidentaux de 2016. La clientèle pour des voitures luxueuses existait bel et bien comme le prouvèrent dans les années qui suivirent les francs succès de Ferrari, Porsche et du trio Mercedes-BMW-Audi.

Toute la communauté des amateurs d’automobiles fut choquée par la mise en liquidation de Maserati et le tollé fut général. Il paraissait à tous inconcevable qu’un nom tel que Maserati, qui avait écrit tant de pages de l’histoire des courses et du grand tourisme, disparaisse si brutalement.

Image
Les employés des Officine formèrent un comité de défense, occupèrent l’usine. Une délégation se rendit à la mairie de Modène, auprès des députés d’Emilia Romagna, devant les journalistes, faisant de cette faillite de Maserati un problème national. Sous la pression de l’opinion publique, émue et considérant que Maserati faisait partie du patrimoine industriel voire culturel italien, le gouvernement suspendit pour six mois la procédure de banqueroute et nomma un administrateur provisoire qui fut Romano Prodi, le futur président du Conseil italien. Au fur à mesure que le temps passait, des employés quittaient d’eux même les Officine, limitant le nombre de licenciés de 920 à 774.

Le 12 août 1975, un organisme d’Etat d’aide aux sociétés en difficultés, le GEPI, reprit Maserati avec une participation minoritaire (30 %) de l’industriel Alejandro De Tomaso qui en assura néanmoins la direction. Grâce à l’appui de son ami le ministre Carlo Donat Cattin (prononcer "Cattine"), Alejandro De Tomaso avait déjà pris le contrôle, épaulé par des fonds publics, des marques de moto Benelli et Moto Guzzi, mises en péril par la concurrence japonaise. Ce montage bien rodé fonctionna pour Maserati en 1975 puis pour Innocenti (usine Lambrate près de Milan) en 1976, plaçant De Tomaso à la tête d’un petit empire de sociétés mécaniques en difficultés. Ci-dessous Alejandro De Tomaso avec son "best seller", la De Tomaso Pantera :
Image


A peine arrivé à la tête de Maserati, Alejandro De Tomaso commit, à mon avis, une très grave erreur qui fut bien lourde de conséquences. Un matin de l’été 1975, en venant travailler via Ciro Menotti, l’ingénieur en chef Giulio Alfieri trouva ses affaires de bureau sur le parking de l’usine ! Congédié, remercié après avoir sauvé et tenu les Officine à bout de bras et d’intelligence pendant 22 ans ! Giulio Alfieri payait là le fait d’avoir favorisé Citroën plutôt que De Tomaso (qui avait effectué une première tentative) lors du rachat de Maserati en 1968.
Alejandro De Tomaso aurait presque du remercier Giulio Alfieri car il s'était finalement offert Maserati pour une somme dérisoire par rapport à ce qu'elle lui aurait coûté en 1968, lors de sa tentative précédente !

Alfieri n'aurait jamais quitté Maserati de lui-même. Il adorait la marque au trident et son génie aurait été bien utile, dans les années 80, pour mettre au point un moteur révolutionnaire, pionnier voire expérimental : le V6 Biturbo. On se prend à rêver de ce qu’aurait été l’épopée Biturbo si Giulio Alfieri avait dirigé sa conception et son développement. Les clients auraient essuyé moins de plâtres. Belle occasion manquée ! Le grand et sage Alfieri, dont la vaste culture et les autres centres d’intérêt dépassaient largement le cadre de l’automobile, trouva la force de surmonter l’affront dignement et se consola rapidement en prenant la direction de Lamborghini.

Pour clore le très long chapitre "Giulio Alfieri" de cette épopée Maserati vue à travers ses ingénieurs en chef, je vous propose une dernière photo de Giulio Alfieri prise au musée Panini près de l'Eldorado de 1958 :
Image
Giulio Alfieri est à droite en pardessus clair, aussi renfrogné qu'en 1958 ! Cette photo a été prise en 2000 ou 2001. Giulio Alfieri décédera en 2002 à l'âge de 78 ans. Devant lui en veston à carreaux se trouve Ermanno Cozza. De l'autre côté du moteur en chemise bleue nous avons Stirling Moss et tout à gauche en complet gris et pull bariolé le mécanicien Giulio Borsari.


Ci-dessous les même protagonistes autour de la même voiture en 1958 : Giulio Alfieri les bras croisés à gauche, Ermanno Cozza les mains dans le moteur presque au même endroit qu'en 2001, Giulio Borsari en blanc. Mais c'est Guerino Bertocchi (décédé en 1982) qui s'extraie du cockpit de l'Eldorado :
Image


Giulio Alfieri et Stirling Moss, Monza 1958 :
Image


Grazie, egregio ingeniere Alfieri, per avere tanto amato la Maserati !
Dernière modification par maseramo le dim. 15 mai 2016 19:23, modifié 1 fois.
"quando turbo spira ...", Dante Alighieri dans "La Divina Commedia"
Répondre