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Le nom de la remplaçante du coupé biturbo (car la 224, même avec son restylage et son prénom numérique, conservait la carrosserie originelle biturbo de 1981) ne fut pas choisi à la légère. Alejandro De Tomaso souhaitait rester dans des appellations de vents, conformément à la tradition Maserati et après la réussite au moins technique de la Karif et de la Shamal. Il fut décidé de plonger dans l'histoire récente de la marque pour offrir à la dernière née le patronyme d'une aïeule prestigieuse, la Ghibli de 1966 due à Giorgetto Giugiaro travaillant à l'époque pour Ghia. Ce choix était discutable et délicat à faire car la Ghibli I fut considérée en son temps comme la plus belle voiture du monde (ce n'est pas moi qui l'ai dit !).
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Il s'agissait d'un véritable chef-d'oeuvre d'esthétisme, de finesse, de beauté limpide. Certains ont considéré que d'attribuer ce nom prestigieux de Ghibli, chargé de mémoire, appartenant au patrimoine historique automobile voire artistique, à une sorte de "muscle car bodybuildé" des années 90 était déplacé et inélégant. Certes, mais Alejandro De Tomaso avait besoin de rehausser au maximum le prestige de ses nouveaux produits. Il y allait de la survie même de l'entreprise et, malgré les accusations d"usurpation de titre", la petite fille trapue adepte de musculation, large d'épaules et de hanches, porta le même prénom que sa grand mère, mannequin toute en finesse !
Comble d'inconvenance, on rajouta même a postiori un 1 en chiffre romain (I) au nom Ghibli de 1966 pour la différencier de la Ghibli II. Mais à la guerre comme à la guerre, la situation financière était trop préoccupante pour s'embarrasser de scrupules et la Ghibli II, par ses qualités et les émotions qu'elle offrait, mérita bien son petit nom.
Tout de même à un moindre degré que la Shamal, la Ghibli II dégageait une assez forte impression d'agressivité, les ailes très renflées étant pour beaucoup dans ce sentiment. L'avant était caréné lisse et abaissé au maximum possible compte tenu de la parenté biturbo alors que l'arrière intégrait dans la malle, fort relevée et imposante (ce qui chagrina certains), le spoiler des biturbo S. Le toit n'ayant pas bougé, comme il était stipulé sur le cahier des charges, cela donnait une lunette arrière assez courte en hauteur et oblique, d'un effet optique particulier sans être déplaisant mais d'une efficacité aérodynamique certaine.
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Les prises d’air, sous les feux anti-brouillard, servent aux intercoolers qui abandonnent leur ancienne position devant le radiateur d’eau (inaugurée sur la Biturbo Si) pour se placer très bas et latéralement. On voit sur les côés tout en bas les entrées d'air pour les intercoolers :
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Le spoiler étrenné sur la 224 série II au bas du pare brise (cachant les essuie glace) était conservé. L'ensemble donnait une ligne très modernisée par rapport à la biturbo (merci Mr Gandini) mais également très travaillée, complexe, fort éloignée d'un libre coup de crayon sur une feuille vierge générant une beauté lisse et pure. En regardant la Ghibli II, on comprenait bien qu'il s'agissait de la reprise musclée d'un dessin antérieur mais cela participait à sa personnalité et à son charme particulier. Comme sur la Shamal, l'original Marcello Gandini avait initialement prévu une découpe oblique des passages de roues arrière. Cela lui fut refusé par Alejandro De Tomaso qui avait économiquement besoin d'un dessin plus consensuel et ne pouvait se permettre de perdre des clients pour ce motif esthétique. Ce fut là l'unique restriction apportée au travail de l'artiste.
Si la Ghibli II fut un peu décriée quand au choix de son prénom et au design de sa malle arrière, sa mécanique n'appela que des louanges de la part des journalistes auto. La version 2 litres découlait naturellement de la 224 Racing avec un rendement encore plus extraordinaire : 306 cv à 6250 tr/mn et 373 Nm à 3500 tr/mn soit 153 cv au litre ! Il serait simpliste de dire que c'était facile d'accroître ainsi la puissance, qu'il suffisait d'augmenter presque indéfiniment la compression de l'air en jouant sur les ailettes des turbocompresseurs. Non. Cela aurait conduit à des phénomènes d'auto allumage et de cliquetis ravageurs. La gestion des paramètres moteur, fruit de 11 ans d'expérience accumulée dans la production presque exclusive de moteurs biturbo pointus, s'était peu à peu affinée et optimisée pour permettre la plus forte compression possible (les turbos soufflaient à 1.1 bar, record pour l'époque) en toute sécurité mécanique. Cames redessinée pour un meilleur temps d'ouverture des soupapes, refroidissement optimal de l'air comprimé admis (essentiel pour diminuer l'auto allumage), informatisation des calculs de la quantité idéale d'essence injectée mais aussi allègement de tous les éléments mobiles (vilebrequin, bielles, pistons) afin de diminuer leur inertie, le laboratoire qu'avait constitué la Racing en tous ces domaines trouvait son application directe dans la nouvelle Ghibli II. Une version 2.8 litres toujours à 4 soupapes par cylindres venait compléter l'offre (plutôt pour l'exportation) avec curieusement moins de puissance que sur la 2 litres (285 cv à 6000 tr/mn) mais plus de couple (413 Nm à 3500 tr/mn).
Cette auto attachante sera pourtant la dernière biturbo sortie durant l'ère De Tomaso.
1993 : contrairement aux espoirs des dirigeants de Maserati, les clients ne se précipitèrent pas sur les bons de commande de la Ghibli II malgré son nom prestigieux et ses performances indéniables, les meilleures qu'aient connues les biturbo à l'exclusion de la Shamal. La Ghibli II ne semblait pas partie pour réitérer les exploits commerciaux de la biturbo I et devenir ce qu'elle aurait très bien pu être : une "mangeuse" de Porsche 911 !
Se sachant depuis peu malade, Alejandro De Tomaso décida à ce moment de jeter l'éponge après 18 ans de sa vie dédiés presque exclusivement à Maserati au point d'en avoir un peu oublié sa propre marque automobile, De Tomaso, qui se mourait lentement. Il vendit ses parts restantes de Maserati à Fiat qui possédait déjà les 49 % d'actions rachetées à Chrysler (et un peu à De Tomaso) à la fin des années 80. Cependant, Alejandro De Tomaso fera vaillamment face à la maladie et ne décèdera pas avant 2003. Il aura heureusement eu le temps de voir la seconde renaissance commerciale de sa chère entreprise Maserati de 1998 à 2003, sous l'égide de Ferrari, après la première renaissance qu'il avait lui-même opérée en 1982 avec le lancement de la biturbo.