La rutilante 3500 GT du musée Panini est une "première série" de 1958 (6 cylindres en ligne, 3.5 litres, 220 cv 225 km/h, carrosserie toute en aluminium selon le procédé "superleggera" de Touring, 2225 exemplaires).
Voici ci-dessous un petit article où j'ai essayé de décrire les tenants et les aboutissants de la 3500 GT, voiture historiquement très importante pour la firme Maserati :
La 3500 GT a sauvé financièrement Maserati qui était placée sous contrôle judiciaire et bancaire fin 1957, comme toutes les sociétés d'Adolfo Orsi. Ce dernier avait réalisé de très lourds investissements en Argentine du temps du général Peron. Mais, à la destitution de Peron en 1956, ses successeurs ne reconnurent pas les engagements et la dette contractés envers le groupe Orsi qui se retrouva en position plus que délicate.
Maserati allait pourtant signer une saison 1957 exceptionnelle, la plus belle de son histoire, avec le titre de champion du monde de Formule 1 de Juan Manuel Fangio sur la très aboutie 250 F alors que la toute récente 450 S, non encore suffisamment développée, était néanmoins vice-championne en catégorie Sport.
Cependant, le "Credito Italiano" (qui voulait récupérer ses fonds de la malheureuse aventure argentine d’Adolfo Orsi) interdit aux Officine Alfieri Maserati pour 1958 tout engagement dans un programme de compétition "usine", estimé trop dispendieux, en autorisant cependant la vente de voitures de course à des écuries ou des pilotes privés. Heureusement que ce jugement n’était pas intervenu en 1957 car il aurait privé Maserati d’un titre de champion du monde de Formule 1, Fangio n’aurait en effet signé que pour une écurie "usine". Si quatre exemplaires de 250 F furent encore produits et vendus à des privés en 1958, la 450 S termina net sa carrière européenne car le règlement changea fin 1957, limitant la cylindrée en "Sport" à 3 litres. Dommage car 1957 avait permis "d’essuyer les plâtres" de cette extraordinaire barquette qui parvenait à peine à une maturité de bon augure pour 1958. Sa belle carrière ultérieure aux USA le prouva largement. Mais seuls trois exemplaires supplémentaires de 450 S furent vendus en 1958.
Pour Maserati, la seule voie de sortie possible de cette crise financière (dont elle n’était en rien responsable) tenait en le succès commercial, impératif et massif, d’un véhicule de tourisme : la 3500 GT. Vingt ans plus tard, quand on demandait à Giulio Alfieri, l'ingénieur en chef de Maserati, quelle avait été sa plus belle satisfaction professionnelle, la réussite de la 250 F ? L’exploit technique de la Birdcage ? Eh bien non. Le grand ingénieur répondait invariablement que le succès commercial de celle qu’il appelait toujours la Tipo 101, la 3500 GT, fut sa plus grande joie : « à certains moments, nous sommes tous de grands sentimentaux ; voir l’usine bien fonctionner et l’objet que vous avez conçu et construit se vendre si bien partout dans le monde est un moment de pur plaisir ! ».
Alfieri savait que Maserati misait gros sur cette voiture, ni plus ni moins que sa survie en fait. Il fit tout pour qu’elle fût un succès. Le 6 cylindres en ligne de 3.5 litres, avec ses 2 bougies et 2 soupapes par cylindre, déjà bien testé en course sur la 350 S de Stirling Moss aux Mille Miglia 1956 (260 cv,distribution par cascade d’engrenages, carter sec), donnait 220 cv en version civile grâce à ses nouveaux ACT issus de la compétition et malgré le retour à la distribution par chaine et au carter désormais humide. Le châssis était bien sûr tubulaire (comme sur toutes les Maserati depuis 1947) et Alfieri décida, pour augmenter la fiabilité, de faire appel à un grand nombre de composants longuement éprouvés et de marques reconnues. Ainsi choisit-il attentivement un embrayage anglais Berg and Beck, une boîte 4 vitesses ZF allemande (accolée au moteur), un arbre de transmission Hardy Spicer et un pont arrière anglais Salisbury. La direction à bille venait de chez Burman et la suspension avant de chez Alford et Alder (la même que sur les Jaguar). Girling fournissait les amortisseurs et les freins à tambour ailetés, Borrani les jantes.
Alfieri avait vraiment fait son marché dans ce qui se faisait de mieux à l’époque.
Il fallait trouver une carrosserie de grande classe (et obligatoirement unique compte tenu des volumes de production) pour habiller ce puzzle européen (moteur et châssis italiens, jantes également, boite de vitesses allemande, tout le reste anglais). Alfieri avait mis en concurrence les "grands couturiers" de la carrosserie italienne. Si PininFarina s’avérait à ce moment trop occupé avec Ferrari, Zagato et Frua produisirent des dessins mais Allemano et Touring furent très rapides et réussirent à exposer chacun un prototype au salon de Genève de mars 1957. La chose fut très vite entendue, le projet Touring était fluide, équilibré, dynamique. Il plaisait beaucoup avec ses phares ronds bien à l’extrémité des ailes, sa calandre oblongue, son pare-brise galbé avec des montants fins et très postérieurs pour ne pas gêner la visibilité, sa lunette arrière très penchée, reprenant latéralement le galbe du pare-brise avec grande élégance. Ce superbe prototype de la carrosserie Touring au salon de Genève 1957 était peint en blanc et, spontanément, visiteurs et journalistes le nommèrent avec révérence "la dame blanche". En ces années, le blanc symbolisait l’élégance et rappelait le maillot blanc du coureur cycliste Fausto Coppi qui dominait avec classe sa spécialité. La 3500 GT Touring remporta instantanément tous les suffrages et Giulio Alfieri sut que Maserati tenait bien là son "best seller". A noter que la carrosserie, qui resta toute en aluminium même lors de la production de la 3500 GT en série, reposait sur un très fin treillis métallique, selon le procédé “Superleggera” de Touring.
Un prix de vente astronomique (celui d'un "petit manoir" selon Adolfo Orsi junior, le fils d'Omer et petit fils d’Adolfo Orsi), n'empêcha pas la 3500 GT de connaitre un grand succès commercial avec 2225 exemplaires produits de 1957 à 1964 (à comparer aux 137 Maserati de route construites entre 1947 et 1957).
Cette voiture arrivait aussi au bon moment, c’était le début du "miracle italien". L’économie transalpine, favorisée par rapport à la France par l’absence de guerre coloniale à financer, était en "plein boom" avec une croissance à deux chiffres dans une ambiance de "Dolce Vita" et un appétit pour la vie, la société de consommation, dont on a du mal aujourd’hui à imaginer la force, la nouveauté. D’ailleurs, en ces années, tout ce qui était moderne était attirant, l’exode rural vers les villes majeur avec des besoins en équipement des ménages gigantesques.
Forcément, des gens gagnaient de l’argent à tous les échelons et un italien qui gagne de l’argent, qu’en fait-il d’après vous ? Hé, il s’achète "una bella macchina" ! Or une marque italienne qui avait produit jusque-là presque exclusivement des voitures de course, qui venait d’être sacrée championne du monde de Formule 1, sortait un sublime coupé routier dont le moteur ne différait guère de celui de Formule 1 si ce n’est par la cylindrée augmentée : bingo ! Vous imaginez l’argument marketing, vous pouviez acheter pour la route la F1 championne du monde ! Habilement, Alfieri avait laissé supposer que la 3500 GT était l’évolution routière de la 250 F. Sur un grand nombre de points c’était assez vrai avec, dans les deux cas, six cylindres en ligne, deux arbres à cames en tête, double allumage, admission trois carburateurs à droite, échappement à gauche. Le bloc 2.5 litres 270 cv de la 250 F n’avait cependant pas les mêmes cotes que le 3.5 litres 220 cv de la 3500 GT, historiquement plus récent. Mais peu importait ce détail tant les gènes "course" habitaient puissamment le moteur du nouveau coupé emporté avec aisance, malgré ses 1300 kg, jusqu’à 225 km/h, ce qui constituait une performance de premier ordre à l’époque.
Une autre donnée, plus psychologique, intervint également dans le succès de la 3500 GT. Avec l’hécatombe des pilotes de course entre 1954 et 1958, les "gentlemen drivers" n’avaient plus tellement envie de risquer (fortement) leur vie au volant de bolides de plus en plus puissants et contre des adversaires de plus en plus souvent professionnels. Un changement de mentalité s’opérait : avec l’éloignement de la guerre, la mort devenait insupportable. Par contre, disposer d’une voiture de tourisme sportive, représentative du statut social ancien ou tout récent, utilisable sur des routes qui ne connaissaient pas encore les limitations de vitesse plaisait bien aux nouveaux "drivers". Et le métier de l’usine Maserati changea alors, tout à fait en adéquation avec ce changement de société. Le fabricant quasi exclusif de voitures de course qui commettait quelques "stradale" devint en 1958, et avec la 3500 GT, un constructeur de véhicules de tourisme luxueux et sportifs qui faisait encore quelques voitures de course.
Les bons de commande de 3500 GT affluaient mais Alfieri, comme à l’accoutumée, ne se reposa pas sur ses lauriers et améliora sans cesse sa création. En 1959 furent proposés en option des freins Girling à disque à l’avant, bien que les tambours fonctionnaient assez bien sans "fading" exagéré. Toujours en 1959, des carburateurs un peu plus gros étaient montés ainsi que des tendeurs de chaine de distribution différents. Une boite de vitesse ZF cinq vitesses et des jantes Borrani à rayons en 16 pouces de diamètre et 5.5 pouces de largeur furent proposés en option à partir de 1960.
Quand le vent souffle, il faut hisser les voiles : devant le succès du coupé, Alfieri comprit très vite qu’il fallait profiter de cet engouement et proposer un cabriolet sur le châssis 3500 GT raccourci de 10 cm. Les carrossiers furent mis en concurrence à nouveau. Touring donna deux versions mais, cette fois-ci, ce fut Giovanni Michelotti pour Vignale qui produisit le dessin le plus réussi et remporta le marché du cabriolet qui sortit en 1960. Par rapport à la 3500 GT coupé, la ligne de caisse accusait un charmant rehaussement entre la portière et la roue arrière.
1961 fut l’année d’un "restylage" (comme on dit de nos jours) du coupé 3500 GT avec des modifications esthétiques : museau plus long, ligne de toit plus basse, feux arrière redessinés. Les quatre disques Girling et la boîte ZF cinq vitesses étaient désormais montés en série et une injection indirecte Lucas était disponible en option, faisant monter la puissance à 235 cv.
Lucas avait été préféré à Bosch qui avait équipé des 250 F "usine" à injection en 1956. Ce fut la 3500 GTi qui portait le logo "iniezione" et fut louée pour sa souplesse d’utilisation malgré des pannes d’injection quand la voiture n’était pas utilisée assez régulièrement.
Les propriéraires célèbres de Maserati 3500 GT, bolide "tendance" de l'époque, furent très nombreux. On peut citer, entre autres, le Prince Rainier III de Monaco, le Roi du Maroc (cabriolet Vignale), le Baron Pompeo Terribile, le ténor Giuseppe di Stefano, les acteurs Alberto Sordi, Tony Curtis, Stewart Granger, Dan Blocker, Dean Martin (cabriolet Vignale), Rock Hudson ou encore Elisabeth Taylor et Anthony Quinn, le pilote Peter Revson, les coureurs cyclistes Gino Bartali et Fausto Coppi.
Gianfranco Cornacchia, pilote de course "gentleman driver" et représentant commercial de Maserati pour le nord de l'Italie, conduisait régulièrement une 3500 GT coupé entre Milan et Modène sur la nouvelle "Autostrada del Sole", établissant un record de péage à péage de 39 minutes sur environ 160 kilomètres !
http://www.maseratitude.com/viewtopic.php?f=12&t=2162