Merci Patrice d'avoir maintenu le suspense !
Et donc voici, chers amis maseratistes, cette ...
... SECONDE INTERVIEW D'ERMANNO CORGHI
Etant à Modène pour le "Raduno hommage à la famille Orsi" organisé par le Maserati Club Italia (Claudio Ivaldi) le week-end du 13-14 octobre, j'en ai profité dimanche après midi pour aller saluer au nom de Maseratitude l'ingénieur Ermanno Corghi qui m'a très gentiment reçu chez lui en présence de sa femme et de sa fille. Il a gardé un très beau souvenir de son repas avec nous au restaurant Europa92 il y a un mois et il m'a chargé de transmettre son salut amical à "tutta la bella squadra Maseratitude".
Je lui ai remis une trilogie dédicacée de La Storia Maserati qui l'a bien intéressé, surtout dans sa troisième partie traitant de l'épopée Biturbo. Ermanno m'a ensuite montré, sous les combles de sa maison, son bureau - musée - souvenirs, aux murs recouverts de photographies souvent inédites qu'il m'a autorisé à présenter sur Maseratitude.
Cette seconde interview s'est faite très naturellement au fil des photos qu'Ermanno m'a commentées puis des questions des membres de Maseratitude que je lui ai posées. Vous verrez qu'elle est totalement complémentaire et différente de la première interview, dans son style aussi, et quasiment sans répétitions.
La première photo qu'Ermanno m'a présentée est celle-ci, celle de la Boomerang :
Nous sommes dans l'allée de l'usine de Modène. Ermanno Corghi est à l'arrière de la Boomerang avec le technicien Cleto Grandi appuyé contre la portière. Je vous rappelle que la Boomerang est un Concept Car (exemplaire unique) dessiné en 1972 par Giorgetto Giugiaro sur base Maserati Bora.
Si l'idée était de Giorgetto Giugiaro, Ermanno Corghi m'a appris qu'il avait lui-même réalisé le fameux volant de la Boomerang tournant autour du combiné d'instruments fixes, au centre. Ermanno a incurvé à 90 degrés les quatre branches pour leur faire rejoindre la colonne de direction à l'arrière des instruments. Les câbles des instruments avaient une longueur et une souplesse calculées pour pouvoir accepter un certain enroulage et même un enroulage certain. Ermanno m'a expliqué que deux chaînettes limitaient la rotation du volant de part et d'autre afin d'éviter la rupture des câbles électriques. Confectionner ce volant original fut pour le jeune Ermanno un beau challenge.
Dès la Boomerang achevée, Ermanno Corghi et son copain Cleto Grandi sont sortis de l'usine avec ce bolide ultra futuriste, ils ont traversé Modène pour aller se garer sur la place centrale où l'émotion suscitée par l'engin fut telle que "la moitié de la population de la ville accourut" !
Les deux comprères prirent alors peur des conséquences car ils étaient sortis sans aucune autorisation de l'administration Citroën de Maserati (Guy Malleret) et ils ramenèrent "illico presto" la "soucoupe volante" à l'abris dans l'usine. Malgré leurs craintes, il n'y eu aucune suite pour eux !
Cette photo de la Boomerang avec Cleto Grandi et Ermanno Corghi est semble-t-il inédite et le forum Maseratitude est peut-être le premier à la publier, à moins que Shinichi Ekko, le président fondateur du Maserati club Japan qui a fait un tour lui-aussi au grenier Corghi l'an dernier, ne l'ait publiée au Japon !
Voici ci-dessus une autre photo, plus connue celle-là, et dont Philippe/Blu Sera nous avaient déjà passé un cliché sous un angle légèrement différent :
Nous sommes au palais du Quirinale à Rome. Ermanno Corghi, à côté du carabiniere en tenue d'apparat, a accompagné en Maserati 430 Alejandro De Tomaso venu rendre visite au président de la République italienne, probablement vers 1988-1990.
Sur la photo ci-dessous, nous remontons un peu dans le temps. Voici la présentation en 1978 de la Quattroporte III au président de la République italienne Sandro Pertini (en lunettes au centre) :
Sandro Pertini a été président de la République Italienne de 1978 à 1985. Ermanno Corghi est tout à la droite de l'image. Alejandro De Tomaso, la main sur l'aile de la Quattroporte III, est près du président Pertini.
Ermanno Corghi a reçu en 1987 le titre de "Cavaliere" décerné par le président de la république italienne Francesco Cossiga pour services rendus au pays :
Ermanno Corghi s'était occupé personnellement d'adapter le moteur 2 litres de la Maserati Ghibli Cup sur le bateau de course Primatist. On le voit poser ici avec le très célèbre pilote du Primatist, Guido Cappellini (dix fois champion du Monde d'Inshore Formula 1) :
"A Ermanno Corghi con simpatia, Guido Cappellini 229 km"
Le moteur Ghibli cup du bateau Primatist a été poussé par Ermanno Corghi de 330 à 370 cv. Avec le Primatist ainsi motorisé, Guido Cappellini battit le record mondial de vitesse motonautique 2 litres le 4 novembre 1996 sur le lac de Lugano avec 216.7 km/h de moyenne sur le kilomètre lancé et 229 km/h en pointe absolue.
Ci-dessous Ermanno dans son bureau à l'usine Maserati, du temps où il travaillait 12 heures et plus par jour :
Sa femme, qui est présente lors de ma visite, me confirme qu'Ermanno travaillait souvent tard la nuit chez eux, "dessinant encore des moteurs à 2 heures du matin" ! Ceci pour son rôle de motoriste, quant à son autre casquette, celle de la gestion du Service Après Vente mondial des Biturbo en panne, sa femme surenchérit : " dans les années 80, ça ne valait souvent pas le coup de défaire ses valises car il repartait deux jours plus tard et les enfants pleuraient" ! Ermanno Corghi fut certainement un monstre de travail. Il me précise qu'avec le temps, il arrivait à moins se déplacer, guidant le mécano local au téléphone : "fais ça, est-ce que ça marche ? Essaye de faire ça ...Je restais à le guider jusqu'à ce que l'on trouve la solution. Parfois la note de téléphone dépassait ce qu'aurait coûté l'hôtel mais, au moins, je restais à Modène. Quand je vois les moyens actuels, les images en live immédiates et gratuites, qu'est-ce que j'aurais aimé avoir ça !"
Ci-dessus au milieu des Barchetta sur lesquelles il s'était beaucoup investi, Ermanno pose à côté du directeur de Maserati détaché par Fiat, l'ingénieur Eugenio Alzati, qui note sur sa dédicace : " A Ermanno, papa enviant celui qui a la force d'affronter tous les jours". Ermanno m'explique que, après le départ d'Alejandro De Tomaso, c'est l'ingénieur Alzati qui était devenu son supérieur chez Maserati et c'était un directeur formidable, humain, intelligent, aimant profondément Maserati. Ermanno m'explique que leurs rapports de confiance étaient devenus très vite ceux d'un père avec son fils. Alzati, en rigolant lui disait : "papa te dit de faire ça ..." mais souvent il laissait carte blanche à Ermanno.
Ci-dessus Ermanno Corghi, le directeur Eugenio Alzati qui avait parfaitement bien compris la très grande valeur de l'ingénieur motoriste de Maserati, et d'autres membres du Staff Maserati dans les "années Fiat " (1993-1997). On note Manfredini à droite.
Cedfred a écrit :
» Lun 1 Oct 2018 13:25
Je serais intéressé qu'il nous parle du moteur de la 3200... quelles évolutions par rapport au V8 de la Shamal et quelle a été l'influence de Ferrari...
Ci-dessous Ermanno Corghi devant le moteur de ma 3200 GT dont il assume totalement la paternité : "sono io che l'ho fatto" dit-il en accompagnant du geste la parole !
Ce fut d'ailleurs son tout dernier travail pour Maserati. "A part la forme des tubes d'admissions et les Eprons, le moteur 3200 GT (370 cv) c'est celui de la Quattroporte V8 (335 cv) qui lui même vient de la Shamal (326 cv) mais là, avec des modifications importantes du vilebrequin (à plat sur la Shamal, en croix sur la Quattroporte IV et la 3200 GT, ce qui diminuait les vibrations)".
D'après Ermanno, les motoristes de Ferrari se sont contentés de contrôler le moteur de la 3200 GT et de donner leur aval. Il n'a quand même pas aimé l'ambiance et a quitté Maserati à ce moment là. Lui parti, il n'y a plus eu de vrai moteur Maserati mais des adaptations de moteurs Ferrari à des caisses Maserati.
fab a écrit : » Mar 2 Oct 2018 08:33
Pourquoi la série des S ont des prises NACA d'entrée d'air, et puis que les autres, elles n'en ont pas ou dans l'autre sens?
A-t-il participé à la préparation des grA?
Recommande-t-il un radiateur d'huile sur toutes les biturbos
Ermanno explique l'historique de façon limpide : "Les prises NACA des séries S servaient à amener l'air vers les échangeurs horizontaux qui étaient de chaque côté du plénum du carburateur. Ensuite, sur les moteurs à injection, j'ai mis les échangeurs derrière la calandre, devant le radiateur d'eau, en position verticale car ils étaient plus efficaces dans cette orientation. Les prises NACA n'étaient plus utiles et je les ai supprimées sur la 222. Mais on a compris qu'il fallait extraire de l'air chaud du compartiment moteur, surtout entre l'arrière du radiateur d'eau et l'avant des turbo, surtout sur les moteurs 2.8 ou à 4 soupapes. Alors j'ai mis des extracteurs sur 222 E, 2.24v, Karif, Shamal etc ..."
Ermanno Corghi n'a pas participé à la création de Biturbo Groupe A. Il pense que ce sont des développements secondaires par des clients.
J'ai demandé à Ermanno Corghi si il recommandait de mettre un radiateur d'huile sur les Biturbo. Il m'a répondu que pour un usage normal de voiture de collection, ce n'est pas la peine mais que pour des sorties sur circuit durant plus de 15 minutes à fond, ça peut être nécessaire. Les radiateurs d'huile qu'il avait adapté sur les Ghibli "étaient assez petits et longilignes et ne descendaient pas énormément la température d'huile mais c'était quand même une sécurité en cas en cas d'utilisation très intensive prolongée plus de 15 minutes". Ces 15 mn en pleine charge ont l'air d'être une limite de sécurité dans son esprit. Jusque là, ça doit aller sans radiateur d'huile.
Gun a écrit :» Lun 1 Oct 2018 09:39
Alors Sign Corghi
Parlez-nous de la naissance de la Kyalami...
En quoi cette voiture est-elle exceptionnelle ?
A propos de la Kyalami, sortie en 1976 et première Maserati de l'ère De Tomaso, Ermanno Corghi a aidé son chef ingénieur d'alors, Aurelio Bertocchi, à adapter le moteur V8 Maserati à la caisse de la De Tomaso Longchamp, dessinée par Tom Tjaarda pour Ghia. Ermanno m'a confirmé que Frua livrait la coque et la carrosserie peintes à Maserati qui y installait moteur, trains roulants et intérieur. Pietro Frua avait redessiné le museau de la Longchamp pour en faire la Kyalami et, sur la demande de Franco Michelotti (un dirigeant de Maserati proche de De Tomaso) Giorgetto Giugiaro avait retouché la malle et le haut des ailes arrière. Ainsi,pas moins de trois grands designers ont œuvré sur la Kyalami (Tom Tjaarda, Pietro Frua et Giorgetto Giugiaro) qui est un coupé de très très grande classe ! Ermanno poursuit : "le châssis de la Kyalami a servi, un peu rallongé, pour la Quattroporte III sortie en 1978. Toutes les deux peuvent avoir une faiblesse à l'arrière, à l'insertion des éléments de suspension. Point à bien surveiller, surtout avec les années qui passent ... Sinon, c'étaient de très bonnes voitures, les Kyalami et Quattroporte III. Le Service Après Vente était facile. Il n'y avait rien à dire, presque rien à faire. Les quatre carburateurs double corps des Kyalami-Quattroporte III étaient une merveille alors que le gros carbu de la longchamp avait une tendance au Vapor Lock".
Froggie a écrit : » Lun 1 Oct 2018 14:01
Moi j'aimerais savoir en savoir plus sur le vilo en croix des V8 issus de la 450S (Ghibli, Indy, etc.):
- quel procédé de fabrication: coulé ou forgé?
- comment Maserati effectuait l'usinage final et l'équilibrage (manuel)?
- et à quel niveau de déséquilibre ils décidaient que c'était satisfaisant ?
Ermanno pense que les bielles et le vilebrequin des moteurs V8 Maserati classiques étaient réalisés par "stampa", par empreinte, donc plutôt forgés que coulés.
"L'équilibrage du vilebrequin était semi-automatique/semi-manuel !" Ermanno m'explique que ça se passait comme pour l'équilibrage des roues actuellement quand on change de pneu. "L'ouvrier fixait le vilebrequin sur une machine qui le faisait tourner et indiquait à quel endroit enlever 2 grammes ou 3 grammes, ce que l'ouvrier faisait manuellement avec une sorte d'emporte pièce. On enlevait que très peu à la fois et il fallait tout de suite remesurer car on ne pouvait qu'enlever et ne rien rajouter. L'équilibrage du vilebrequin pouvait être quelque chose de très long. La tolérance, c'était la tolérance zéro ! l'ouvrier s'arrêtait quand la machine lui disait zéro mais la machine avait elle-même une limite, je ne sais plus exactement mais peut-être un dixième de gramme. Je pense que cette machine doit toujours être quelque part à l'usine Maserati. Elle ne sert plus puisque tous les moteurs sont faits à Maranello."
Grazie mille, caro Ermanno, pour nous avoir ouvert votre maison et nous avoir montré vos chers souvenirs. Surtout un immense merci de tous les Maseratistes pour cette énorme quantité de travail offerte pour le bien de Maserati et la bonification du moteur Biturbo jusqu'à l'obtention de purs "capolavori" que sont les moteurs Racing, Ghibli Cup, Shamal et dérivés V8.
Maseralfa m'avait demandé de dire à Ermanno Corghi que ses moteurs étaient des chefs d’œuvres et que c'était un plaisir de travailler dessus. Je me suis acquitté avec enthousiasme de cette mission, en précisant à Ermanno que ce compliment venait d'un grand connaisseur, et Ermanno m'a serré fort les deux bras, les yeux humides.
Salve amico Ermanno !