Merci Froggie pour ce document assez important. J'ai eu l'occasion de discuter longuement avec Ermanno Cozza sur le sujet "Guerino Bertocchi" et le très fiable Ermanno me confirma les dires de cette lettre de Marc Sonnery, que l'on retrouve dans son livre "Maserati, the Citroën years". Guerino Bertocchi lui avait tellement cassé les pieds, à Cozza, que ce dernier avait même envisagé un temps quitter Maserati. C'est dire !
Je crois que Guerino Bertocchi fut assez exemplaire tant que Maserati a fait de la compétition. Son implication dans la période des barquettes S et surtout de la Formule 1 250F fut vraiment éblouissante. Il a personnellement réglé et rodé toutes les 250F et c'était un pilote hors pair. Un peu comme si un chef mécanicien de Formule 1 actuelle avait assuré personnellement le développement châssis et pilotait dans les mêmes temps voire plus rapidement que les pilotes d'usine ! Inimaginable ! Sa proximité avec Fangio, qui l'écoutait très attentivement, fut décisive pour la conquête du titre de champion du monde 1957. Tous les deux étaient à la fois mécaniciens et pilotes :
Sa contribution aux succès de Maserati lors de cet âge d'or des années 50 fut déterminante, de même dans l'excellent réglage des Maserati de route des années 60.
Mais Bertocchi n'aimait pas les moteurs à l'arrière. Il eut toutes les peines du monde à régler le Muletto Birdcage à moteur central arrière en 1960 alors que pour toute voiture à moteur avant, de course ou de route, il trouvait à l'instinct, aussi facilement qu'il respirait, le meilleur réglage possible, même avec des solutions techniques anciennes comme le pont arrière rigide. Il sua sang et eau sur la Bora qu'il finit par régler magnifiquement avec un rapport confort - tenue de route meilleur que la rude Lamborghini Miura. Mais en râlant sans cesse et en concluant son collaudo : "va bene, ma preferisco la Ghibli !" Ci-dessous retour de collaudo laborieux de la Bora, l'ingénieur Alfieri en cravate, Bertocchi en noir de face :
Bertocchi supporta assez mal en fait, la tutelle Citroën qui le privait un peu de son influence dans l'usine. Ci-dessous au salon de Genève 1971, il est perplexe et fait la grimace devant la Bora, il n'aime guère les moteurs centraux arrière ! Pourtant "sa" Bora, aux suspensions réglées souples grâce à un bel équilibre général, était considérablement plus confortable et facile à conduire qu'une Ferrari BB512 ou une Lamborghini Countach ! Au milieu, le patron de Citroën (Pierre Bercot) et à droite, le directeur détaché de Citroën à Maserati (Guy Malleret). Assi derrière en cravate et poing devant le visage : Gianfranco Cornacchia, le concessionnaire Maserati pour Milan et le Nord et patron de la Scuderia Guastalla (l'alter ego de Guglielmo Dei, le concessionnaire Maserati pour Rome et le Sud et patron de la Scuderia Centro Sud) !
Quand Alejandro De Tomaso reprit Maserati en 1975, Guerino était aux anges ! Sa chère firme Maserati passait entre les mains de son patron De Tomaso et son fils Aurelio, ingénieur De Tomaso, devint l'ingénieur en chef de Maserati après le limogeage de Giulio Alfieri qui avait préféré Citroën à De Tomaso lors de sa tentative de rachat précédente en 1968.
On imagine sans trop de mal la fierté du vieux Guerino de voir son fils promu ingénieur en chef de la Maserati et la profonde reconnaissance qu'il nourrit dès lors envers Alejandro De Tomaso ! Voici ci-dessus Aurelio et Guerino Bertocchi en février 1978 à l'hôtel "Canalgrande" à Modène. Cet hôtel appartenait à Alejandro De Tomaso qui y avait ses bureaux et même y vivait dans une suite privée ! Guerino (71 ans) testait et réglait encore les De Tomaso et même parfois les Maserati, assurait la mise en main aux clients "VIP" et les relations avec les journalistes. Son fils Aurelio, "levé à toute heure", assurait les fonctions d'ingénieur en chef à la fois de De Tomaso et de Maserati ! Il est rare de voir les Bertocchi, père et fils sur la même photo, avant qu'un funeste et identique destin ne les emportent ... victimes d'accidents de la routes fatals alors qu'ils étaient passagers.
Guerino Bertocchi décéda à 73 ans le 13 avril 1981 au cours de la mise en main d’une De Tomaso Deauville, pilotée par un client un peu trop inexpérimenté ou trop sûr de lui. Guerino était passager au moment du choc, fatal aux deux occupants de la rapide berline.
Quand on pense que quatre ans plus tard (en 1985), son fils Aurelio trouvera la mort dans des conditions analogues, passager d'une Innocenti De Tomaso conduite dans le brouillard par le motoriste Ermanno Corghi !