merci à Michel Bollée et à son beau livre "la Maserati du colonel" pour ces bells photos 151-152-154-65.
Et maintenant, à la demande de Steph69 et de Gun, "le Bichonneur" ou "The Detaillor"
the detaillor
Bob dépensait au travail toute la rigueur et l'esprit d'organisation dont il était capable. Une fois rentré à la maison, c'était monsieur "à peu près". Rien de trop précis ou nécessitant une attention un tant soit peu soutenue ne pouvait lui être demandé. Chez lui, Bob, c'était un tiers de présence réelle, un tiers de désinvolture, un tiers de rêverie et aussi un bon tiers de paresse mais là, comme Marcel Pagnol le faisait dire à César :"ça dépend de la grandeuuuur des tieeeeers !"
Oh, il daignait bien mettre la table mais oubliait des couverts ou les verres étaient dissemblables, il descendait le sac des ordures mais négligeait de placer une nouvelle garniture dans la poubelle. Dans les piles de linge de Bob, sa femme s'escrimait à trier les affaires propres de celles à envoyer au lavage. Sur son bureau, les factures déjà réglées et celles encore à honorer gisaient pèle-mèle et ses chaussettes souvent dépareillées, si elles faisaient rire les enfants, finissaient par agacer sa douce et tendre.
Heureusement que dans "les choses du couple" son implication et son application relevaient de suffisamment de talent naturel pour satisfaire son épouse sans qu'il lui en coûtat trop d'effort ! Mais à cette exception près, d'importance il est vrai, cet homme laissait chez lui une assez forte impression d'inachevé, d'inaccompli.
Son épouse, par un de ces détours obscurs à l'âme masculine dont sont remplis les journaux et les cerveaux feminins, eut alors l'idée lumineuse de lui faire trois cadeaux simultanés : une Maserati 222 à la mécanique convenable mais aux peintures et garnitures surrannées, un énorme sac de chiffonnettes et un nécessaire complet de produits de décrassage, essorage, lustrage, asticage et finalement ressuscitage !
A l'image de Neile Adams qui avait offert une Ferrari 250 Lusso à son mari, l'acteur Steeve Mc Queen, une telle femme existait, oui oui, sans n'avoir rien à se faire pardonner, mais attention, ce n'était pas si simple, avec une idée précise derrière la tête, une tactique élaborée, un échaffaudage complexe et prémédité comme seules les femmes savent en assembler.
Elle commença devant son mari à lustrer l'extrémité d'une aile. "Regarde, ça marche bien ce produit". Le mâle, intéressé, souleva un sourcil ténébreux. Il s'y mit avec application et patience, n'avançant que lentement mais ne laissant derrière sa chiffonnette qu'un résultat parfait. Tel Forrest Gump qui, du jour au lendemain, s'était mis à courir sans trop savoir pourquoi et sans plus pouvoir s'arrêter, Bob entreprit de nettoyer de fond en comble, astiquer, rénover la Maserati (qui le méritait bien). Tout y passa, carrosserie, sièges, contre-portes, moteur et même châssis.
La nuit, carnets de notes signés, prières récitées, méditation effectuée, devoir conjugal accompli, il n'était pas rare qu'il abandonne son lit douillet et son épouse tendrement endormie pour descendre au garage et se glisser, non pas sous la couette, mais au péril de sa vie sous le châssis de la Masette montée sur câles pour nettoyer, parfois démonter, astiquer jusqu'à la faire reluire une pièce sous l'auto que personne ne verra jamais !
Inutile de préciser qu'il ne faisait plus rien d'autre à la maison : les ronces envahissaient le jardin, la voiture familiale qui avait laissé sa place au garage au profit de la Maserati changeait de couleur sous les couches multiples et emmélées de pollens divers, de fientes d'oiseaux et d'aiguilles de pins. La maison était un capharnaum et, sauf pour aller travailler, Bob ne se lavait même plus !
Son épouse commençait à douter sérieusement de la pertinence et de la justesse de ses calculs. C'est alors que se produisit un miracle : après six mois de dur labeur, la Maserati était enfin parfaite comme au jour de sa sortie d'usine, dedans, dehors, dessous, impeccable ! Bob posa lentement la chiffonnette qu'il tenait en main, leva les yeux et, pour la première fois depuis six mois, regarda autre chose que sa Maserati. Ce qu'il vit l'horrifia : le garage lui parut sordide, hideux, les étagères couvertes de dizaines de bidons éventrés, débouchés et sâles, des outils en vrac de partout, des milliers de chiffons dégoutants jetés aux quatre coins.
Un drap immaculé plus une bâche couvrant la Maserati, il entreprit de ranger, nettoyer, repeindre le garage. Il fallait un écrin digne à son bijou. Sa femme retrouva le sourire. Puis, par cercles concentriques de plus en plus larges autour de la Maserati, Bob s'attaqua à l'escalier, à la maison, à la jungle du jardin qui redevint pelouse. Sa femme était radieuse et fière de la réussite de son stratagème. Mais on ne pouvait plus arrêter Bob désormais. Tout y passait, de la cave au grenier. Maniaque, il devenait maniaque, perfectionniste à l'excès et, peu à peu, agressif. Il se mit à réprimander rudement les enfants qui mangeaient leurs gâteaux sur la banquette arrière de l'Opel Zafira en revenant de l'école. Son épouse se vit reprocher un manque de rigueur et de sérieux dans la tenue de la maison, l'éducation des enfants et même jusque dans ses tenues vestimentaires jugées trop négligées ! Elle ne souriait plus du tout. Son mari était passé d'un extrême à l'autre, le dilettante désinvolte s'était mué en E....erdeur de première !
Mais le summum fut atteint quand il lui suggéra de se faire remonter, par une chirurgie esthétique, ses paupières supérieures qu'il trouvait un peu tombantes.
Elle lui réplica du tac au tac : "et toi alors, ton double menton, tu l'as bien vu ?"
"justement", lui répondit-il, "j'ai pris rendez-vous pour un lifting du cou"
C'en fut trop, elle réfléchit toute une nuit et décida de passer au plan B : elle dégota une très très vieille, très crade, très abîmée Maserati Biturbo de la première heure, une qu'il mettra très très longtemps à retaper, plus un appareil photo pour bien illustrer toutes les étapes de la restauration, plus une inscription sur Maseratitude pour bien passer du temps à montrer à ses Maseratipotes comme il restaure bien son auto ...
Alors, pendant qu'elle entendait son mari taper à grands coups de marteau pour débloquer les écrous rouillés d'une roue, elle s'assit confortablement, sirota son thé vert et s'exclama : "non mais, refaire mes belles paupières à la Charlotte Rampling, miserattitude !"
(toute ressemblance avec des personnages ou des faits réels est purement fortuite)