Maseratitude

Whitney Straight (1912-1979)


En 1933 au volant de sa première Maserati, la 8C 2500 #2514 qu'il affectionnait particulièrement.


Américain d'origine et de nationalité, Whitney Straight a cependant vécu presque toute sa vie en Angleterre (son père décéda de la grippe espagnole quand il avait 6 ans et sa mère se remaria avec un britannique).

Whitney Straight avait deux passions : la course automobile et le pilotage d'avions.

Après des débuts sur Riley et Bugatti, il monta à partir de 1933 une petite écurie de voitures de course comprenant deux Maserati et une MG Magnette. Sa première Maserati fut une 8C 2500 Biposto (#2514) construite en 1931 et achetée d'occasion à Sir Henry Birkin, l'un des plus fameux Bentley's boys. Sa seconde Maserati fut une 8CM (#3011) construite en 1934 et achetée neuve. Straight a piloté lui-même ses autos en Grand Prix surtout en Angleterre et en Europe. Comme vous pouvez le voir sur l'image ci-dessous, il obtint d'excellents résultats en course :



Dans le brillant palmarès ci-dessus, sa 8C 2500 est répertoriée en tant que 26 M et a connu la victoire à Brooklands, Donington Park et East London.


La 8C 2500 est une Tipo 26 M en fait. Les premières Tipo 26 de 2.5 litres compresseur 190 cv 230 km/h de 1930 avaient un fuselage étroit Monoposto, d’où l’appellation initiale Tipo 26 M. Mais on avait encore besoin d’emmener un mécano-second pilote parfois dans les courses longues et on a créé pas mal de 26 M Biposto ! D’où la nouvelle appellation 8C 2500 pour ces Biposto. Mais mécaniquement, ce sont des Tipo 26 M. A total il y eut 14 exemplaires de Tipo 26 M de 1930 à 1932, Mono et Biposto confondues (il y eut même une quattroposto !). #2514 avait cependant des particularités (support central du vilebrequin sur double roulement à billes et freins spéciaux d’inspiration Bugatti).

Ci-dessous Whitney Straight au volant de sa belle 8C 2500 Biposto #2514. Le pilote est sur la droite du cockpit et il reste un peu de place pour un mécano-second pilote à côté :

Notez le système Henri Perrot de commande des freins avant, avec une articulation de la barre transversale sur le tambour autorisant un petit freinage en courbe quand le câble actionné par la pédale de freins faisait tourner la barre sur elle même. Ci-dessous le même système Perrot sur une Tipo 26B :

Ci-dessous Whitney Straight dans #2514 :

La lutte était âpre contre les Bugatti :

Ci-dessous Straight et #2514 victorieux de l'International Trophy 1933 à Brooklands :


La voiture n'était pas encore peinte en blanc (les couleurs américaines, nationalité de Straight).


Straight améliorait sans cesse sa 8C 2500, augmentant la compression pour obtenir 200 cv au lieu des 190 initiaux (ce qui eut pour effet de rompre le différentiel usé par de nombreuses courses !), installant un pré-sélecteur Wilson sur la boite de vitesse, essayant un double train de roues à l'arrière :

Straight était attaché sentimentalement à sa première Maserati et l'avait conservée même après la fin de sa courte carrière de pilote. Ci-dessous #2514 peinte en "blanc USA" avec Straight au volant lors d'un événement de démonstration dans l'immédiat après guerre :


Pas de doute, la magnifique 8C 2500 à l'échelle 1/43 de Princedead est bien fidèle à l'originale 1/1.Sauf la sangle sur le capot et le numéro, tout y est : la couleur claire, le saute-vent riveté, le cockpit très échancré, les points d’attache de l’échappement à l’arrière, les longerons clairs et les rivets sur le côté du longeron, les attaches noires du capot, le nombre d’ailettes 6-9-8 même si l’orientation n’a pas été respectée (captation pour refroidir le compartiment moteur-extraction d’air chaud-captation pour refroidir les jambes du pilote).

Mais revenons en 1934, Whitney Straight s'offre une Maserati 8CM neuve, la célèbre #3011.
Cette 8CM à la calandre particulière deviendra tellement mythique aux mains de Whitney Straight (en blanc couleur américaine) puis de son second propriétaire le prince Bira (en bleu couleur du Siam) qu'elle a inspiré un livre au journaliste Denis Jenkinson, grand ami et copilote de Stirling Moss aux Mille Miglia des années 50 :

La 8CM se caractérise par son fuselage très étroit (stricte Monoposto) et par une très grande nouveauté : la commande hydraulique des freins avant grâce à laquelle on allait enfin pouvoir freiner franchement en virage. Si Duesenberg avait présenté dès 1922 cette nouvelle technique mais sans efficacité, durant toutes les années 20 Bugatti essaya sans plus de succès de mettre au point cette exigente commande hydraulique . Ettore Bugatti dut se contenter du système Perrot et finit par laisser échapper sa fameuse boutade : "de toute façon, un bon pilote n'a pas besoin de freins !".

Maserati fut la première marque de voiture au monde à réussir à fiabiliser la commande hydraulique des freins avant, d'abord sur la 4CM 1100 puis sur la 8CM de Grand Prix en 1933.

Ci-dessous au virage du bureau de tabac au Grand Prix de Monaco 1934 où il finira 7ième, Whitney Straight au volant de sa Maserati 8CM #3011 qui a encore sa calandre d'origine mais avec une ébauche de pointe inférieure :

On voit bien les flexibles de freins.

Straight se fait doubler par l'intérieur par Louis Chiron au virage de la gare (qui après déplacement de la gare en 1965 deviendra le virage du Loews Hôtel puis du Fairmont hôtel) :

Whitney Straight en discussion au dessus de la 8CM avec le pilote-metteur au point d'Alfa-Romeo Giulio Ramponi au Grand Prix de Monaco 1934 :

Le moteur de la 8CM est toujours le 8 cylindres en ligne à deux arbres à cames en tête compresseur Roots mais la cylindrée est poussée à 3 litres ce qui donne 240 cv pour 750 kg = 250 km/h. Des versions ont même atteint les 280 cv ! Le double arbre à came en tête est entrainé par cascade d'engrenages :

Straight avait débauché Giulio Ramponi d'Alfa (ici dans le cockpit) pour assurer la mise au point finale de sa 8CM #3011 !

170 mph =273 km/h ! Un peu fantaisiste quand même !

Plus réaliste, 136 mph=223 km/h, record sur un kilomètre remporté par Straight en 1934 :


Victoire à Brooklands en 1934 :

Avec son fameux mécanicien-metteur au point Giulio Ramponi :

Poursuivi par une Alfa Romeo :



Poursuivi par une Auto-Union à moteur central arrière :


Ci-dessous une Auto-Union V16 Streamliner de 1935 que Straight avait envisagé d'acheter mais à laquelle il renonça pour ne pas faire le jeu du nazisme :

Fin 1934, Whitney Straight comprend que l'on ne peut vaincre en Grand Prix sans disposer d'une voiture allemande. En effet, 1934 avait vu l’apparition d’une réglementation en Grand Prix très particulière : moins de 750 kg, aucune limitation de cylindrée !!! Les allemands Mercedes et Auto-Union, financés largement par le régime nazi qui avait investi des sommes colossales dans la course automobile à but de propagande, réussirent à respecter ce poids maximal tout en bénéficiant de cylindrées généreuses de 3.7, puis 4.3, puis 4.7 et même 5 litres sur Auto-Union ! Ceci grâce à leur avance technologique dans le domaine des alliages légers. Tout comme les américaines, rares en Europe, les voitures de course allemandes étaient traditionnellement blanches (les françaises étaient bleues, les italiennes rouges et les anglaises vertes), mais Mercedes et Auto-Union économisèrent même sur le poids de la peinture pour passer juste sous les 750 kg : elles devinrent donc couleur aluminium, ce furent les fameuses flèches d’argent qui exercèrent une suprématie absolue en Grand-prix à partir de 1934.

Whitney Straight envisagea en 1935 d'acheter une Auto-Union à moteur central arrière V16. Du fait de ses bons résultats en course sur sa "modeste" Maserati 8CM de 3 litres, Auto Union proposa même à Straight de devenir pilote d'usine. Ce fut un cas de conscience pour Whitney Straight car, au volant d'une Auto-Union, il aurait pu briller en Grand Prix qui plus est sans dépenser d'argent en étant pilote d'usine. Mais il aurait servi la propagande du troisième Reich ce qu'il se refusa de faire.

Dans ces conditions, Whitney Straight préféra mettre fin à sa brève carrière de pilote. S'il conserva comme un objet de collection sa 8C 2500, il vendit sa 8CM #3011 au prince Bira du Siam qui la fit repeindre en bleu (couleur du Siam) avec son emblème : la petite souris blanche sur le fuselage !


Noter les longs flexibles de freins, la petite souris blanche peinte sous le rétroviseur gauche de #3011 et ci-dessous sur la future A6GCM d'après guerre du prince :


Voici le palmarès du prince Bira durant les années 36-39. A la différence de l'après guerre où le prince pilotera surtout des Maserati (4CL, 4CLT, 4CLT48, A6GCM et même 250F), il courrait avant guerre sur des voitures très diverses mais signa quelques beaux classements avec sa 8CM #3011 et même une victoire au Campbell Trophy :




Une voiture de course mythique, une italienne à palmarès qui s'imposa en Angleterre !





La petite sourie blanche est toujours là !

Sacré personnage ce Whitney Straight qui a aussi été pilote de chasse sur Hurricane pendant la seconde guerre :

Le pilotage des avions était l'autre grande passion de Whitney Straight. Dès 1940 (bien avant l'entrée en guerre des USA), il s'engagea dans la RAF (Royal Air Force) et obtint trois victoires et demi (une victoire partagée) pendant la bataille d'Angleterre avant d'être à son tour abattu au dessus de la France. Fait prisonnier, il réussit à s'évader en 1942 et, grâce à la résistance française, il parvint à rejoindre Gibraltar puis l'Angleterre où il devint chef d'escadrille :

Après la guerre, Whitney Straight dirigea deux compagnies aériennes (British European Airways et British Overseas Airways). Il quitta ce bas monde en 1979 à l'âge de 67 ans

1934 : Whitney Straight after winning the 250-mile JCC International Trophy Race at Brooklands in his 2.9-liter Maserati :




Je suis heureux d'avoir pu, sur Maseratitude, mettre un coup de projecteur sur ce pilote manifestement talentueux au volant de ses deux Maserati et qui a su renoncer à une carrière plus brillante afin de ne pas augmenter le prestige des voitures sponsorisées par le nazisme.

Merci à Princedead de m'avoir amené à découvrir ce personnage lors de l'identification de sa 8C 2500 au 1/43

Merci Alido pour ce nouvel éclairage fouillé d'un pilote Maserati!

Quelle aventure et quel personnage. Le 20e siècle fut le siècle des aventuriers des limites. Merci

Etonnant monde où pour piloter un Hurricane, une auto de course, ou pour être mécanicien pendant un grand prix, on commençait par mettre une cravate...

Merci et bravo Alido.

Grazie mille Maseramo

Merci beaucoup Doc ! Qui aurait cru que tout ce pan d'histoire de Maserati se cachait derrière une très jolie miniature !!

Je suis gâté en ce moment avec l'A6 Streamline et cette 8C 2500 ! Et très content d'avoir pu apporter un modeste éclairage sur ces deux "inconnues". Merci!

Comme toujours précision historique et détails croustillants caractérisent ton récit. Je me suis régalé !

Merci les amis, fantastique cette photo noir et blanc de #2514 au 1/43

Grazie Alido
Quel aventurier !!
Dominique
3200GTA

Merci Maseramo pour ce coup de projecteur sur un pilote atypique et attachant, comme pouvaient l'être les pilotes d'avant-guerre

ci-dessous, sa Maserati dans les stands du GP de Monaco 1934 :

Super article ! Je ne connaissais pas ce pilote , une histoire très intéressante ! Merci pour l’article!