C’est alors que le miracle se produisit ! Fangio à l’état normal, c’était déjà quelque chose, mais Fangio en état de grâce, c’était exceptionnel. Battre une fois le record du tour au Nürburg, c’est déjà fantastique, le faire tomber chaque tour pendant huit tours consécutifs, ça ne s’était jamais vu et ça ne s’est jamais revu ! Fangio et sa 250 F, arborant le numéro 1 de champion du monde en titre et le nez jaune, volaient littéralement, avalant les 170 virages et les 22.8 kilomètres du tourniquet allemand avec une trompeuse facilité. Les spectateurs retenaient leur souffle et avaient parfaitement conscience de vivre un moment exceptionnel. D'ailleurs beaucoup de photos immortalisent ces instants.
Malgré les efforts des pilotes Ferrari pour se mettre à l’abri, Fangio fonçait sur eux jusqu’au contact visuel. Plus que 300 mètres, 200 mètres. En passant devant les stands, l’avant dernier tour, Fangio arrivait dans les roues arrières du second, Peter Collins. Il l’attaqua dans le virage Sud et le doubla en mettant une roue dans l’herbe, criblant de graviers Collins et lui brisant les verres de lunette. Le leader, Mike Hawthorn, fut rejoint et dépassé à la moitié de l’avant dernier tour mais Fangio ne levait toujours pas le pied. Il restait concentré et franchit la ligne d’arrivée avec 3.6 secondes d’avance sur Hawthorn et 35.6 sur Collins devant des spectateurs en extase et en admiration qui lui faisaient des révérences des bras.
On a tout dit de cette remontée ahurissante de Fangio, tout vérifié, le moteur, l’essence : rien, rien que le talent et l’expérience qui avaient parlé au delà de ce que l’on croyait possible, des instants magiques emprunts d’un équilibre surréaliste, tels que seuls Tazio Nuvolari avaient pu nous en donner auparavant et Ayrton Senna bien plus tard. Le propre commentaire de Juan Manuel Fangio lui-même, quelques décennies après, sur sa course légendaire au Nürburgring 1957 fait froid dans le dos : « Même maintenant, j’ai très peur quand je repense à cette course. Pourtant j’avais conscience de ce que je faisais et des risques encourus. Nürburgring était mon circuit favori. Je l’aimais dans son ensemble et je crois que ce jour là, je l’ai vaincu. Un autre jour, c’est lui qui m’aurait vaincu peut-être, qui sait ? J’avais atteint les limites de la voiture, je les avais peut-être même dépassées. Je n’avais jamais piloté de cette manière et je savais très bien que c’était la dernière fois. »
Si deux deuxièmes places aux Grands Prix de Pescara et de Monza viendront conforter son titre, Fangio fut sacré pour la cinquième fois champion de monde de formule 1 dès le soir de ce Grand Prix d’Allemagne d’anthologie.
J'adore le regard de Fangio à Bertocchi à l'arrivée de ce Grand Prix d'Allemagne inoubliable !