Alejandro De Tomaso comprit qu'il fallait en 1989, au contraire de 1981, élargir la gamme Maserati vers le haut et le prestige, proposer, après la Karif qui n'était qu'une demi supercar, un vrai bolide de rêve afin d'ennoblir encore l'image des Biturbo. Ce fut la Shamal.
De Tomaso demanda au fidèle Marcello Gandini de lui dessiner sa supercar supercompacte mais, Maserati étant sans le sou, Gandini devait tenir un cahier des charges drastique. Le châssis de la Karif devait être strictement conservé, empattement, portes, toit, structure de la carrosserie, empreinte au sol devaient être respectés. Un vrai casse-tête !
Cet artiste a réussi le tour de force de dessiner un véritable monstre d'agressivité, selon moi la plus violente visuellement de toutes les Biturbo, ceci en partant d'un "gentil cabriolet" sage d'aspect. Les ailes étaient gonflées et bodybuildées, les prises d'air foisonnaient, la taille se resserrait au milieu de l'empattement pour respecter la position des portes puis s'hypertrophiait à nouveau largement. La bande noire mate verticale ceinturant le toit, la découpe oblique du passage des roues arrière (clin d'œil à la Lamborghini Countach du début de la carrière du designer), tout était violent, voire choquant. Ce bolide, surtout en noir, c'était le diable avec son trident. Quand on la regarde, même de nos jours 28 ans plus tard, avec son porte-à-faux avant marqué et son empattement court, on dirait qu'elle va bondir d'un coup, tout dévorer. Ses yeux sont petits mais multiples (pas moins de huit vous transpercent).
Elle est méchante cette bête-là, "cattiva, molto cattiva", non pas belle dans le sens classique du terme mais monstrueuse, brute, hypertrophiée. Je pense que sa valeur artistique est réelle mais c'est là de l'art moderne, intellectualisé, conceptualisé. Rien à voir avec la beauté lisse, première, pure, intemporelle et évidente pour tous au premier regard de la 3200 GT, l'ultime Maserati Biturbo due à Giugiaro.
Au contraire, la Shamal de Gandini nécessite, pour l'apprécier, un bagage de connaissances. Il faut être initié pour la reconnaître belle. Un non averti peut très bien être choqué, la trouver difforme (avec ses passages arrières de roues obliques, son porte à faux avant bien long et ses ailes renflées) et la dédaigner. On peut dédaigner Picasso ou Boulez, pas Renoir ou Mozart. La Shamal peut déplaire, pas la 3200 GT. Personnellement, je suis absolument fan des deux ! Chacune dans son genre est géniale d'émotions délivrées.
La Shamal, première Biturbo Maserati V8, revendiquait 3.2 litres de cylindrée, 326 cv à 6000 tr/mn, un couple énorme de 440 Nm à seulement 2800 tr/mn, 270 km/h en vitesse de pointe et un 0 à 100 km/h en 5.5 secondes. 369 exemplaires auraient vu le jour de 1989 à 1995 mais un certain nombre de véhicules non assemblés et vendus pour pièces détachées ont probablement été comptabilisés dans ce chiffre.