Maseratitude

Les Officine Alfieri Maserati furent créées à Bologne via De Pepoli le 1er décembre 1914. Mais jusqu'en 1926, la nouvelle entreprise ne construisit pas de vraie voitures Maserati. Son but était alors de préparer pour la course des voitures d'autres marques, des Isotta-Fraschini puis des Diatto. Dans l'après guerre 15-18 (l'Italie n'entra en guerre qu'au printemps 1915), la demande fut très vite importante et l'atelier de la via De Pepoli devint trop petit pour satisfaire à l'accroissement de l'activité. La société Maserati déménagea dans la banlieue de Bologne, à Pontevecchio, investissant une ancienne et vaste fabrique de dames Jeanne où les trois frères Alfieri, Ettore et le jeune Ernesto, les trois branches unies du trident, établirent leur industrie mais aussi leur logement à l'étage au dessus des ateliers !

Le marquis Diego de Sterlich-Aliprandi fut client des frères Maserati (en leur achetant une Diatto 20S préparée) et sera ensuite le mécène qui leur permettra de construire leur première voiture, la Tipo 26. 26 Juillet 1925 : le marquis Diego de Sterlich-Aliprandi, client-pilote et mécène de la firme Maserati, vient de remporter la course de côte Aoste - Gran San Bernardo au volant de sa Diatto 20 S préparée par les "fratelli Maserati". Il pose accroupi (second à partir de la droite) en veston blanc devant son bolide.

En 1925 également, les Officine Alfieri Maserati n'étaient plus un simple préparateur. Un premier pas d’émancipation avait été avancé en concevant de A à Z pour la course et en réalisant entièrement l’auto d’un mandataire (Diatto Grand Prix) qui finança entièrement le projet.
Ci-dessus la Diatto Grand Prix entièrement conçue et réalisée par les frères Maserati (Alfieri au volant et Ernesto à côté). 8 cylindres en ligne, 2 litres, double arbre à cames en tête (c'était rare à l'époque) et compresseur.
Cependant Diatto se retira de la compétition automobile à la fin de 1925. Grace à l'expérience acquise sur la Diatto Grand Prix et avec le soutien financier du Marquis de Sterlich, les fratelli Maserati se lancèrent dans la construction de leur première vraie Maserati, la Tipo 26 qui vit le jour en 1926.

Ci-dessus Alfieri Maserati à l'usine au volant du prototype Tipo 26 (#11) non encore peint. la carrosserie ultralégère en aluminium a été façonnée à la main par celui qui allait devenir le carrossier mythique de Maserati (jusqu'en 1958) puis de Ferrari : Medardo Fantuzzi. C'est le second en allant vers la gauche à partir d'Alfieri. Résultat pour cette Tipo 26 : 780 kg en ordre de marche sans le plein d’essence.

Ci-dessus Alfieri Maserati est penché sur le moteur du prototype Tipo 26 à Monza début 1926. La carrosserie en aluminium n'est toujours pas peinte et les freins avant ne sont pas installés !

Si le châssis de la Diatto Grand Prix, constitué de deux longerons unis par des traverses en profilés d’acier, fut conservé sur la Tipo 26 avec des modifications mineures, le moteur bénéficia par contre d’un profond remaniement avec une diminution de la cylindrée de 2 à 1.5 litres à cause de l’apparition d’une nouvelle formule 1500.
Le moteur de la Tipo 26 est un 8 cylindres en ligne de 1.5 litres avec deux arbres à cames en tête et un compresseur Roots devant le moteur. Ce compresseur comprime le mélange air-essence fourni par les deux carburateurs Memini que l'on voit en bas au premier plan et le mélange comprimé est envoyé sans être refroidi vers l'admission sur le flanc droit du moteur. Le bas moteur était amélioré par rapport à la Diatto Grand Prix par l’installation de rouleaux en bronze avec métal antifriction sur les paliers avant, central et arrière du vilebrequin, diminuant significativement les vibrations et leur potentiel « dévissant » (le compresseur de la Diatto s'était dévissé en course !). Les culasses (fractionnées) n’étaient plus en aluminium mais en acier plus résistant. Sur la Tipo 26 au rapport de compression de 5.8 : 1, la puissance délivrée atteignait 120 cv à 5300 tr/mn ce qui, en 1926, représentait un beau rendement de 80 cv au litre, obtenu à une époque où le standard tournait autour de 30 à 40 cv au litre. Le moteur est presque carré avec un alésage à 60 mm pour une course à 66 mm ce qui autorisait un régime de rotation assez rapide par rapport aux moteurs de l'époque qui étaient souvent à course très longue.
Sur le flanc droit du moteur, on voit bien le compresseur en avant alimenter directement les 8 cylindres. Remarquez les bougies de rechange vissées dans la feuille d’aluminium de séparation avec le cockpit, le boitier de direction qui arrive à cet endroit actionne les barres de direction qui seront en extra-fuselage droit à partir de là. Notez aussi le refroidissement presque individualisé, deux cylindres par deux cylindres, avec la durite d'eau refroidie qui arrive en haut en avant et se répartit entre les deux arbres à cames. Sur la toute première Tipo 26 (#11), la forme des tubulures d'admission était différente, plus basse :
Les soupapes d'admission et d'échappement sont à 90 degrés les unes des autres. C'est un carter sec avec pompe de renvoi et réservoir d'huile devant le passager, un moteur décidément très moderne pour 1926 ! Le bouchon du réservoir d'huile installé au dessus des jambes du copilote-mécanicien embarqué (valait mieux qu'il n'y ait pas de fuites d'huile bouillante !) : Ci-dessus fermeture partielle du cockpit pour les courses en solo.


On voit le réservoir d'huile en haut derrière le moteur : A l'image de ce moteur originel de la Tipo 26, toutes les Maserati à moteur en ligne (sauf la Birdcage) eurent l'admission à droite et l'échappement à gauche jusqu'aux dernières Mistral de 1969 !

Voici un châssis de Tipo 26B 2 litres mais c'est le même châssis qui équipait la Tipo 26 de 1.5 litres. Les traverses entre les deux longerons sont quand même rares. La colonne de direction aboutit à un boitier qui va actionner en extrafuselage des biellettes qui sont uniquement sur le côté droit de l'auto.

Bien sûr on a le pont rigide avec les ressorts à lames :
Comme c'était la règle avant l'apparition en 1933 de la commande hydraulique des freins avant (que l'on doit à Maserati !), la Tipo 26 dispose du système de freins avant Henry Perrot (le câble fait tourner la tige horizontale articulée comme un cardan qui actionne un peu le tambour de frein même roues braquées) :
On voit bien sur cette photo les barres commandant la direction depuis la sortie du boitier et le système de freinage mécanique Perrot : Les six frères Maserati s'investirent dans l'industrie et la course automobile sauf Mario, artiste peintre, à qui la firme Maserati doit cependant son symbole, le trident stylisé inspiré de celui de la statue de Neptune trônant au centre de la grande place de Bologne. Le dessin originel de Mario Maserati est précieusement conservé :
C'est ce trident qui marqua pour la première fois la calandre de la Tipo 26 :

Et voila la premièreTipo 26 achevée. On est le 14 avril 1926, 11 jours avant sa première course, la célèbre Targa Florio en Sicile. Le premier à droite est Alfieri Maserati, le second en chemise est le gentleman driver Emilio Materassi qui passa commande une Tipo 26, le quatrième à partir de la droite est le jeune mécanicien Guerino Bertocchi, le huitième à partir de la droite est Ettore Maserati, frère d'Alfieri :
On remarque que les tubulures d'admission du mélange air-essence comprimé de ce prototype sont différentes de celles que je vous ai montrées plus haut. Le réservoir d'essence derrière le cockpit fait 80 litres pour une consommation moyenne en course aux alentours de 30 litres aux 100 kilomètres. Noter les deux roues de secours à l'arrière du réservoir.
C'est Guerino Bertocchi qui a été choisi pour être le mécanicien embarqué d'Alfieri Maserati lors de la première course de la première Maserati, la Targa Florio 1926. Alors de petite corpulence et acceptant sans hésiter les risques considérables, Guerino Bertocchi fut de 1926 à 1930 l'un des plus fidèles mécaniciens embarqués d'Alfieri, rôle bien utile en ces temps là où les routes n'étaient pas goudronnées et les crevaisons fréquentes. Deux roues de secours étaient placées derrière le réservoir. De plus il fallait changer les bougies très fréquemment et graisser souvent les commandes de direction et de frein ainsi que les roulements de roues sans parler de la pompe à main pour l'essence (au tableau de bord), salvatrice en cas de défaillance non rare de la pompe mécanique.

Et voila le patron de Maserati et son mécanicien (qui essaye de se tasser le plus possible au fond du siège) en pleine action sur les routes de Sicile :
La Tipo 26 atteignait 180 km/h en ligne droite mais, avec un centre de gravité haut, des voies étroites et des pneus de seulement 4.75 pouces de large devant et 5 derrière (18 de diamètre), la tenue en virage était très limitée et toute l'adresse du pilote était requise pour ne pas verser. Aux côtés d'Alfieri, Guerino Bertocchi apprend l'équilibre de ces autos, emmagasine du ressenti et deviendra un pilote metteur au point extraordinaire, faisant parfois dans les années 50 de meilleurs chrono que Fangio ou Moss ! En attendant, le jeune Bertocchi surveille le ravitaillement de la "5" à la Targa Florio 1926 :
On remarque la colonne de direction de la Tipo 26 qui arrive jusqu'au boitier puis les biellettes extérieures au fuselage transmettent la commande jusqu'aux roues avant en contournant le moteur par la droite.

Encore quelques efforts et c'est la victoire en classe 1500 ! Pour sa première sortie, la Maserati Tipo 26 ne parvint pas à suivre sur les monts siciliens le rythme effréné des Bugatti 35 de 2 litres qui remportèrent l’épreuve, mais elle se classa tout de même 9ième au scratch et surtout première des 1.5 litres, remportant ainsi une très honorable victoire de classe.

Le musée Maserati 143 de notre exceptionnel Princedead possède bien sûr sa Tipo 26 numéro 5, la première Maserati de tous les temps !

La nouvelle de la victoire à la Targa Florio en classe 1500 pour la première sortie de la première Maserati fut amplement diffusée et relayée par la presse de l’époque, très nationaliste. Cela faisait déjà quatre ans que Benito Mussolini était arrivé au pouvoir et les media d’alors (journaux, radio, informations au cinéma) étaient incidemment priés par le régime de mettre en exergue tout ce qui pouvait renforcer le sentiment national. Les exploits sportifs des autos italiennes, particulièrement quand elles étaient confrontées à une concurrence étrangère, entraient parfaitement dans ce cadre. Ce tapage médiatique amena des clients à Maserati, des gentlemen drivers (parfois étrangers d'ailleurs) qui voulaient surtout une voiture capable de vaincre ou au moins de bien se classer. Au total, 11 exemplaires furent construits ce qui est un beau résultat pour des voitures de course très chères.

Le marquis Diego de Sterlich-Aliprandi, grand mécène de la firme, acheta bien sûr une Tipo 26. Ci-dessous victoire de classe et absolue à la Vermicino - Rocca di Papa 1927 :
Ici Diego de Sterlich-Aliprandi à la Targa Florio 1928 : Carlo Tonini à la Coppa Acerbo 1926 : Encore Carlo Tonini à la Vermicino-Rocca di Pappa 1927 (troisième absolu) : Antonio Testi à Bologne en 1927 (le pilote avait besoin de ravitailler avant son bolide) : Aymo Maggi : Et même une femme, la Baronne Maria Antonietta Avanzo à la Vermicino-Rocca di Papa 1927 sous le regard perplexe d'Alfieri : Le souriant romain Pietro Brunori : C'est la seule photo que j'ai trouvée de Tipo 26 MM, c'est à dire équipée pour les courses sur routes ouvertes type Mille Miglia. En fait, pour obtenir une Tipo 26 MM il suffisait de rajouter sur la Tipo 26 des garde boue au dessus des roues et des phares qui sont ici orientés vers l'intérieur afin qu'ils ne soient pas brisés par la projection d'un gravillon, mais que l'on braquait vers l'avant la nuit tombée.

On peut citer aussi parmi ces premiers clients gentlemen drivers Emilio Materassi, Luigi Fagioli, le Baron Filippo Sartorio. Les premiers clients étrangers furent Joaquin Palacio en Espagne et Marcel Lister en Angleterre.

Mais Alfieri et Ernesto Maserati faisaient aussi courir leur Tipo 26 en diverses courses, ce qui accentuait la renommée de leur firme. Alfieri remporta notamment la classe 1500 au très réputé Grand Prix de Tripoli 1927.


Ici Alfieri "limite" au circuit du lac de Garde : Ci-dessous la Tipo 26 (#11, celle de la Targa Florio) participe à la course du kilomètre lancé à Bologne en juin 1926 : Guerino Bertocchi (casquette - cravate) est le cinquième à partir de la gauche.

Alfieri Maserati et Guerino Bertocchi qui n'avait pas froid aux yeux (sans lunettes) à la Bologna Lojano 1926 : Encore Bertocchi comme mécanicien embarqué mais cette fois-ci aux côtés d'Ernesto Maserati : Crevaison de la Tipo 26 d'Alfieri Maserati à la Coppa Perugina 1926. Ce cliché exceptionnel montre le patron-pilote prêter main forte au mécanicien (probablement Bertocchi) et nous permet de voir l'arrière du réservoir de 80 litres :
Alfieri Maserati au volant d'une Tipo 26 : Ernesto Maserati au volant d'une Tipo 26 à la Targa Florio 1927 : Le volant était vraiment proche du corps du pilote !

Ernesto Maserati en pleine action au volant d'une Tipo 26 à la Targa Florio 1927 : Trois Maserati à la Targa Florio 1927 : La 10 est la Tipo 26 (1.5 litres) d'Ernesto Maserati, la 16 est la Tipo 26 (1.5 litres) d'aymo Maggi. Ces deux Tipo 26 ne purent finir les 540 km de la Targa 1927. Par contre, la 26 est la toute nouvelle la Tipo 26B de 2 litres que le patron, Alfieri Maserati, s'était réservée. Il finira troisième absolu avec cette 26B alors qu'Emilio Materassi (qui avait fait une infidélité à Maserati) remportait la course sur Bugatti. La Tipo 26B se reconnait par rapport à la Tipo 26 car elle a une calandre oblique.

Au total 11 exemplaires de Tipo 26 de 1.5 litres furent construits : 3 en 1926 (#11, #12, #13), 3 en 1927 (#14, #16, #26), 4 en 1928 (#19, #21, #23, #27), 1 en 1929 (#20 dite Tipo 26 Speciale) et 1 tardive en 1932 (#1515 ex #1110).

ci-dessous la Maserati Tipo 26S #20 de 1929 avec ses phares, un second filtre à huile et un moteur désaxé vers la droite de 1 cm. Dès les modèles 1927, des améliorations ont été apportées :
- taux de compression passant de 5.8:1 à 6.1:1
- un seul carburateur Memini au lieu de deux initialement, puis un Weber à partir de 1929
- puissance passant de 120 cv à 5300 tr/mn à 128 cv à 6000 tr/mn ce qui était un régime rapide pour l'époque
- la boite passant de 3 à 4 vitesses

A partir de 1928, l’empattement est raccourci de 265 cm à 258 cm.

Dès 1927 était sortie la Tipo 26B, quasi identique si ce n'est la calandre oblique et le moteur poussé à 2 litres 155 cv par augmentation de l'alésage (passé de 60 à 62) et surtout de la course (passée de 66 à 82). Pourtant, malgré cette Tipo 26B de 2 litres capable de 200 km/h, la Tipo 26 de 1.5 litres continua à être produite. Elle était sans doute moins chère et permettait aux pilotes de viser un classement en catégorie 1500. D'ailleurs la Tipo 26 a même été déclinée vers une cylindrée inférieure, ce fut la Tipo 26C avec le 8 cylindres ramené en 1929 à 1100 cc pour 100 cv. Et puis la déclinaison vers les cylindrées supérieure s'est poursuivie en 1930 avec la Tipo 26M de 2.5 litres pour 195 cv. Toutes ces voitures continuaient à porter "26" dans leur nom alors qu'on n'était plus en 1926 depuis longtemps !
Ce n'est que vers 1931-1932 que l'appellation Tipo 26 s'arrêta (remplacée par le nombre de cylindres et la cylindrée) mais, comme vous le voyez sur le schema ci-dessus, c'est la Tipo 26 de 1.5 litres qui a engendré toute cette famille des Maserati à compresseur d'avant guerre ! C'est par elle que tout a commencé, et ce n'est pas fini presque 100 ans plus tard !!!

Merci pour ce super post sur la Typo 26

Lodein

Ciao Lodein, merci pour ton message. J'ai rajouté deux photos très rares depuis ta lecture. Tu les retrouveras dans le texte mais, pour ceux qui ont déjà lu comme toi, je les remets ici :

- Une Tipo 26 MM version course sur route avec les garde boue et les phares.
Le souriant romain Pietro Brunori : C'est la seule photo que j'ai trouvée de Tipo 26 MM, c'est à dire équipée pour les courses sur routes ouvertes type Mille Miglia. En fait, pour obtenir une Tipo 26 MM il suffisait de rajouter sur la Tipo 26 des garde boue au dessus des roues et des phares qui sont ici orientés vers l'intérieur afin qu'ils ne soient pas brisés par la projection d'un gravillon, mais que l'on braquait vers l'avant la nuit tombée.

- Alfieri aidant le mécano à changer une roue en course lors d'une crevaison.
Crevaison de la Tipo 26 d'Alfieri Maserati à la Coppa Perugina 1926. Ce cliché exceptionnel montre le patron-pilote prêter main forte au mécanicien (probablement Bertocchi) et nous permet de voir l'arrière du réservoir de 80 litres :