Maseratitude

La fièvre créatrice extraordinaire de Giorgetto Giugiaro s’exprima, entre autres projets, par la Maserati Boomerang, un concept car fascinant sur base Bora, présenté initialement en orangé et sans moteur au salon de Turin 1971. Extrêmement basse (107 cm), le pare-brise extrêmement incliné (13 degrés par rapport à l’horizontale), les portières vitrées presque jusqu’en bas en deux parties (l’inférieure ouvrable), le tableau de bord au centre du volant sans jante, ce vaisseau du futur marqua fortement les esprits et servit de base à ... la Lotus Esprit !

Ital Design a été crée par Giorgetto Giugiaro en 1968 à son départ de Ghia. On voit le I et le D stylisés sur le capot en avant de l'énorme trident.
Toujours de belles voitures circulent à Monaco ! A noter la signature de Giugiaro sous la plaque d'immatriculation qui a été ôtée. De toute façon cette plaque est inutile, il n'y a qu'un exemplaire de Boomerang !

Mais revenons 52 ans en arrière pour vous raconter l'histoire de ce prototype unique. Voici deux photos exceptionnelles, les dessins signés Giugiaro et la maquette en bois de la Boomerang chez Ital Design fin 1970 - début 1971 :
Notez que Giugiaro avait inscrit 12 degrés pour l'inclinaison du parebrise, ce sera finalement 13 degrés. Et notez la signature de l'artiste.
La créativité du maître Giorgetto Giugiaro était véritablement "scatenata" (libérée des chaînes) au début des années 70 ! Le jeune et inspiré designer présenta sur base Bora (châssis 081) la Boomerang, de couleur initialement orange, sur le stand de sa société Ital Design du salon de Turin qui se tenait en novembre 1971, soit à peine quelques mois après la présentation de la Bora à Genève en mars 1971.

La Boomerang est sans doute l'expression la plus extrême du "Wedge Design" où les carrosseries avaient une forme en "coin", pointue devant, coupée de façon abrupte derrière. Sur cette première ébauche, on voit que la ligne de caisse s'interrompt au tiers postérieur de la vitre latérale alors qu'elle ira jusqu'à l'avant dans la Boomerang définitive que nous connaissons bien. Cet exemplaire du salon de Turin 1971 était statique, non encore motorisé.

Voici une autre exceptionnelle photographie de la Boomerang en cours de motorisation lors de l'hiver 1972. Notez le vase d'expansion du liquide de refroidissement en haut à droite et le volant encore traditionnel : Durant l'hiver 1972, la Boomerang est repeinte en gris et motorisée par une mécanique de Bora 4.7 litres. Les techniciens Cleto Grandi et Ermanno Corghi (photo ci-dessous à l'usine Maserati de Modène, collection Corghi) se sont tout spécialement occupés d'elle. Si l'idée est de Giorgetto Giugiaro, c'est Ermanno Corghi qui a réalisé le fameux volant périphérique tournant autour des cadrans, assurant une lisibilité maximale mais nécessitant un calcul très précis de l'enroulage des câbles électriques à l'arrière et deux chaînettes de limitation. Notez l'absence de tachymètre, la Boomerang étant destinée initialement à être seulement un Concept-Car de salon.
Malgré tout, nos deux compères ont voulu faire quelques essais sur route pour évaluer un peu le bolide. Sans autorisation, ils sont sortis de l'usine et, après avoir circulé en campagne et en ville, se sont arrêtés devant un café. Ermanno Corghi m'a dit que "la moitié de la population de Modène a accouru pour voir la Boomerang, créant un embouteillage énorme dans lequel Guy Malleret (le directeur délégué de Citroën à Maserati) se retrouva pris". Grandi et Corghi furent priés de ramener illico presto le prototype à l'usine. Ils craignirent des sanctions, mais il n'y en eut pas !

Cletto Grandi et Ermanno Corghi 50 ans plus tard avec votre serviteur, piazza Roma à Modène en septembre 2022 :
une dernière photo à l'usine de Modène l'hiver 1972 :

Mise à part cette petite "mostra" (exposition) modénaise improvisée, la vraie présentation de la Boomerang définitive a lieu au salon de Genève en mars 1972, cette fois-ci sur le stand Maserati, au milieu des Bora, Ghibli, Mexico (pour les plus classiques) et Indy. Belle gamme !
Les portes, très angulées, s'ouvrent de façon classique. Seule la portion basse du vitrage est coulissante, vers le bas. Le tableau de bord est une sorte de tube avançant vers le pilote. Les sièges sont de type "hamac" comme sur la Bora.
Les sièges "hamac" étaient très à la mode à l'époque !

Une vrai galette extrêmement large et plate cette Boomerang Ci-dessus, au salon de Barcelone 1973, la Maserati Boomerang est présentée à côté de la Porsche Tapiro, autre concept-car dessiné par Giugiaro. Un espagnol aisé, propriétaire de night club, va acheter en 1974 la Boomerang et la faire immatriculer, chose exceptionnelle pour un concept-car ! A l'époque, l'Espagne n'est pas encore dans l'Europe et n'applique donc pas les règles européennes : pas de crash test, même l'absence de tachymètre n'a pas empêché l'enregistrement de l'auto ! La Boomerang, utilisée comme une voiture normale dans sa période espagnole, a un peu souffert mais les portières vitrées ont ravi les enfants !
Ce premier propriétaire espagnol va conserver la Boomerang une douzaine d'année. Entre temps, en 1986, l'Espagne est entrée dans l'Europe et un collectionneur allemand achète une Boomerang immatriculée dans un pays européen et donc immatriculable dès lors partout en Europe. Ce concept-car est ainsi devenu incroyablement une banale voiture utilisable sur le réseau routier normal ce qui est tout à fait exceptionnel ! Ci-dessous durant sa période allemande quand elle a été restaurée avec un cuir intérieur devenu marron :

Vous imagineriez que cette voiture a 51 ans ? C'était une extraterrestre au milieu des Renault 4 et des Peugeot 504 deux fois plus hautes qu'elle ! Le dessin est extrêmement travaillé. Ce que j"adore, c'est que la ligne de caisse est le point le plus large. Vers le bas ça replonge vers l'intérieur.


Le radiateur d'eau est sous le parechoc :

le toît vitré, les portières vitrées, le parebrise géant : c'est le règne de la transparence !

les filles en pincent aussi pour la Boomerang !

Construite à un seul exemplaire avec le V8 de 4.7 litres 310 cv de la Bora en position centrale longitudinale, la Boomerang fut donc vendue en 1974 à un espagnol qui la revendit 10 ans plus tard à un allemand. Restaurée, elle est adjugée 1 million de dollars chez Christies en 2005 à un niçois, André Binda très connu dans le monde des Maserati. C'est relativement peu cher par rapport au marché actuel qui monte franchement sur ces automobiles exceptionnelles, uniques, historiques.

André Binda a beaucoup présenté sa Boomerang pendant 10 ans, je l'ai vue à Avignon motor show, à Modène pour les 100 ans où elle a eu un prix :

Je me suis souvent demandé à quoi correspondait le 77 inscrit sur les panneaux derrière les portières de la Maserati Boomerang :

Giorgetto Giugiaro en personne donna la réponse à Serge Cordey, le journaliste de Classic & Sports Cars qui, en 2008, lui posait la même question. Il s'agit de la signature manuscrite de Giorgetto Giugiaro. Dans cette signature, les deux G sont stylisés comme des 7 sans la barre transversale. Giugiaro a même fait une démonstration en signant une feuille à en-tête de sa société Ital Design :
Giugiaro a également signé cette œuvre qu'est la Boomerang sous la plaque d'immatriculation arrière :

Un génie souriant : Giorgetto Giugiaro, le "Michelange des temps modernes" devant quelques unes de ses réalisations : Appel aux spécialistes de la "macchina italiana" pour l'identification des sculptures !!

maseramo a écrit :Qu'elle est basse !

Qu'elle est étrange aussi avec ce tableau de bord sans compteur de vitesse...

Je dirai forme tres futuriste pour une voiture de plus de 40 ans!
Et le volant qui tourne a l interieur du compteur avec des commandes a l'intérieur tres bizarre au niveau fonctionnalité
Merci maseramo pour tes recherches et développés sur des modeles rares....

Merci Maseramo pour ta présentation.
Autant Les photos que j'avais vu la concernant ne la mettait pas en valeur, autant Je la trouve très belle en "évolution". Il aurait presque pu faire une petite série sans changer grand chose.
L'ergonomie des sièges est typique des GTs de cette période.

Raph

Pas de compteur de vitesse car initialement ce devait être uniquement une voiture de salons.

Bonjour à tous,
Je suis fan des œuvres de Giugiaro, la Boomrang est une pure merveille stylistique, representative des annees 60 / 70, tout comme l'Alfa Carabo que l'on voit à l'arrière plan
A noter que la Boomrang a maintenant élu domicile aux alentours de Nice.
Fred

C'est exact Maseramo, la Boomerang actuellement domiciliee a Monaco est immatriculée et roule régulièrement pour aller sur les salons et les expos.
Merci pour le reportage

maseramo a écrit :Un génie souriant :

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Giorgetto Giugiaro, le "Michelange des temps modernes" devant quelques unes de ses réalisations :

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Appel aux spécialistes de la "macchina italiana" pour l'identification des sculptures !!

Euh, pas la peine de citer la Bora et la Merak Una Alfasud est à la droite de la Boomerang, devant le proto Alfa Caimano, et comme déjà cité, la Carabo au fond.

Moins italien, Guigiaro, outre la Lotus Esprit (jusqu'au restylage de Peter Stevens en 1991), est aussi à l'origine de la célèbre DMC12 de Lorean (merci Hollywood...), ou du... Nikon F4 !!!

Il serait impossible de citer toutes ces oeuvres, car au début des années 60 il travaillait pour Bertone et ne pouvait signer de sa main les carrosseries qu'il a dessiné pour le maître carrossier.
En fait Nuccio Bertone découvrit ce jeune designer fraîchement sorti de l'école et l'embaucha sur le champs, il avait à peine une vingtaine d'années, il devait encore faire son service militaire. Bertone fit marcher ses relations afin qu'il puisse faire son service en version "light".
Il était installé dans une chambre d'hôtel à côté de la caserne, ce qui lui permettait de travailler au calme pour Bertone. C'est ainsi qu'il dessina l'Alfa Giulia Sprint GT en quelques semaines seulement... Mais comme il était sous la coupe de Bertone, la voiture fut appelée "Coupé Bertone", alors que ce dernier s'est juste contenté de signer le dessin, sans en modifier le moindre trait...
Pour faire un parallèle (grossier?), c'est comme les apprentis de Michel Ange qui travaillaient pour lui mais qui n'avaient pas le droit de signer à la place du "Maestro".
Fred