La V8RI

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LA V8RI

2 exemplaires en 1935 (#4501 et #4502) et 2 exemplaires en 1936 (#4503 et #4504)



Chers amis, je vais vous parler ici de la catégorie « reine » des monoplaces de Grand Prix de l’époque, ce que l’on appellerait aujourd’hui des Formules 1 (mais le terme de Formule 1 ne fut créé qu’en 1950).


Voici quelques photos récentes de #4503, la voiture personnelle de Philippe Etancelin, pilote français dont le nom est très lié à la V8RI :

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Pour comprendre l’histoire de la V8RI, il faut revenir un peu avant sa naissance. Dans cette catégorie prestigieuse des pré-Formules 1, Maserati disposait d'une très bonne monoplace de Grand Prix en 1933 avec la 8CM (8 Cylindres en ligne Monoposto) de 3 litres à compresseur 240 cv 250 km/h au volant de laquelle Tazio Nuvolari remporta le Grand Prix de Belgique 1933 à Spa :

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Mais 1934 vit l’apparition d’une réglementation en Grand Prix vraiment très particulière : moins de 750 kg à sec, aucune limitation de cylindrée !!! Les Allemands Mercedes et Auto-Union, financés largement par le régime nazi qui avait investi des sommes colossales dans la course automobile à but de propagande, réussirent à respecter ce poids maximal tout en bénéficiant de cylindrées généreuses de 3.7, puis 4.3, puis 4.7 et même 5 litres sur Auto-Union ! Ceci grâce à leur avance technologique dans le domaine des alliages légers. Les voitures de course allemandes étaient traditionnellement blanches (comme les françaises étaient bleues, les italiennes rouges et les anglaises vertes), mais Mercedes et Auto-Union économisèrent même sur le poids de la peinture pour passer juste sous les 750 kg : elles devinrent donc couleur aluminium, ce furent les fameuses flèches d’argent qui exercèrent une suprématie absolue en Grand-prix à partir de 1934.

Pour répondre à la nouvelle réglementation, Maserati sortit en 1934 la 6C34 qui, grâce à un inédit 6 cylindres en ligne 3.7 litres de 270 cv placé dans un ensemble châssis-carrosserie allégé de 8CM, réussit à résoudre l’équation d’une augmentation de cylindrée à 3.7 litres tout en limitant le poids à 750 kg. Grâce à 6 cylindres à la place de 8, la 6C34 gagnait 0.7 litres de cylindrée et 30 cv par rapport à la 8CM tout en pesant 13 kg de moins ! La 6C 34 emportait à 260 km/h son pilote avec 170 litres d'essence dans le dos !

Mais la pauvre 6C34 devait lutter vers la fin de la saison 1934 avec des flèches d’argent qui avaient 1 ou 1.3 litres de plus qu’elle en cylindrée. Elle se retrouva souvent 4ième ou au mieux sur la dernière manche des podium en cas de défaillance mécanique de l’une des allemandes. Ci-dessous à Monza en 1934, Tazio Nuvolari amènera la 6C34 à la cinquième place d’une course remportée par Luigi Fagioli sur Mercedes :

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C’est dans ce contexte compliqué qu’Ernesto Maserati imagina une monoplace de très forte cylindrée (4.5 litres en début de projet puis finalement 4.8 litres) motorisée par le tout premier V8 de la marque Maserati. Ce fut la V8 RI (pour Ruote Indipendenti), une voiture assez révolutionnaire du fait de ses quatre roues indépendantes (fait rare à l’époque), d’une boîte de vitesses repoussée à l’arrière contre le pont (pour améliorer la répartition des masses), de l’utilisation intensive de l’alliage Elektron qui sortait des aciéries Isotta-Fraschini (qui permit de limiter le poids à moins de 750 kg).

Le moteur, un V8 de 4.8 litres, développait 300 cv en 1935 puis 320 cv en 1936. Pour gagner du poids, il était assez simple avec, pour chaque banc, un bloc-culasse coulé en une seule pièce (selon la technique des 4C1500) et un seul arbre à cames en tête par rangée de cylindres. De même, un seul compresseur Roots placé en avant « boostait » tout le V8. Ainsi dotée, la V8 RI pouvait dépasser les 280 km/h. En fait, cette voiture aurait été en mesure de battre ses rivales allemandes si la mise au point du train arrière, assez instable, avait été plus rigoureuse.

On note ci-dessous le refroidissement individuel des cylindres :

On voit le compresseur Roots en bas en avant (ailettes horizontales) sur cette image prise lors de la restauration de #4503 :

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Le V8 est, comme il se doit, ouvert à 90 degrés. La boite de vitesse n’est pas accolée au moteur mais repoussée à l’arrière :

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Rarissime image du train arrière à roues indépendantes tout en utilisant des ressorts à lames. La boite de vitesse semble être en arrière du différentiel :

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On voit les arbres à cames du moteur dépassant du fuselage.


Et la voila rhabillée :

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Contrairement à toutes les Maserati qui, depuis le début de la marque, étaient toutes équipées de deux arbres à cames en tête, la V8 n’en a qu’un seul par banc de cylindres et qui dépasse du fuselage ce qui nécessite un carrossage spécial :

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Ci-dessous au Grand Prix de Monaco 1936. Sur cette photo de face on voit particulièrement bien les deux bosses adaptées au fuselage pour caréner les deux arbres en tête du gros V8 ouvert à 90 degrés :

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Votre serviteur exactement au même endroit en 2018 au Grand Prix historique de Monaco :

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On est sur le quai du port de Monaco en face de la montée après Sainte Dévote dont on voit les arcades du mur de soutènement entourées en rouge.
Mais les deux voitures ne sont pas les mêmes. Il y a eu 4 exemplaires de V8RI. La rouge est la toute première V8RI construite (#4501 de la Scuderia Subalpina de Gino Rovere) alors que la photo de 1936 montre la V8RI # 4503 privée de Philippe Etancelin qui remportera avec elle le Grand Prix de Pau 1936.

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Mais revenons aux premiers essais de ce bolide.

Ci-dessous le 26 juin 1935 Philippe Etancelin teste la V8RI au col de la Futa (célèbre passage obligé des Mille Miglia). Il s’agit de la première V8RI (#4501), celle de la Scuderia Subalpina confié pour les premiers essais à Philippe Etancelin qui est un excellent client-pilote de Maserati car il a déjà couru sur 8CM et 6C34 :

Seul ce premier exemplaire aura transitoirement la dérive arrière haute qui était théoriquement censée stabiliser l’auto et ligne droite et dans les longs virages rapides :

Deux jours plus tard, le 28 juin 1935 lors des essais de vitesse sur l’autoroute Firenze-mare, Guerino Bertocchi surveille la mécanique :

"Guerino Bertocchi inspecte la voiture après le baptême des 300 km/h sur l'autoroute Firenze-Mare. 28 juin 1935"

L’inscription sous la photo est peut-être un peu optimiste avec 300 km/h !

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Première apparition de #4501 (qui a perdu sa haute dérive arrière) au Grand Prix de la Marne à Reims avec Philippe Etancelin les lunettes sur le front :

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Nino Farina a fait la pôle avec #4502 mais son moteur en délicatesse l’empêche de prendre le départ.


Phiphi va partir, il a placé ses lunettes devant les yeux :

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Mais la V8RI n’était pas encore au point (extrait du journal "l'Auto" du 7 juillet 1935).

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Très vite la V8RI se révèle instable au niveau du train arrière à roues (trop) indépendantes. La suppression de la dérive haute n’y change rien. Ci-dessous, Philippe Etancelin grimace au volant de ce bolide toujours à la limite du drift, mais il passe (Grand Prix de Suisse 1935) :

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Dès la fin de la saison 1935, il est décidé de remplacer les roues arrière indépendantes des deux premières V8RI par un classique pont rigide. Les deux exemplaires construits en 1936 (#4503 et #4504) reçoivent d’emblée le pont arrière rigide. Voici #4503 à Bern en 1936 :

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Philippe Etancelin, qui croit fort en cette auto, achète #4503 avec laquelle il court à Monaco :

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Et avec laquelle il va remporter le très réputé Grand Prix de Pau 1936 :

Les journalistes américains furent impressionnés par Suzanne Etancelin qui tenait le stand de course de son mari :

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Voici d’autres images de V8RI en course. Ci-dessous au Nurburgring en 1936 :

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Le marquis Georges Raphaël Bethenod de Las Casas (dit Raph) acheta neuve #4504 et le voila en pleine action à la coupe Vanderbilt en 1936 dans l’état de New York :

Toutes les V8RI vont se retrouver aux USA à partir de 1937 car, impressionnés par sa V8RI, les amis de Raph rachetèrent d’occasion les trois autres exemplaires qui coururent ainsi avant et même après guerre aux USA avec des places d’honneur et des victoires :

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Ci-dessus on reconnait #4504 passée à Georges Weaver qui peignit l’avant de la carrosserie en noir sur les côtés et la fit équiper d'un aileron plat horizontal de chaque côté à l'arrière entre le fuselage et les roues. On en reparlera plus tard.

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Les pilotes américains engagèrent même leur V8RI aux 500 Miles d’Indianapolis avant guerre mais en diminuant la cylindrée à 3 litres pour satisfaire le règlement, ce qui eu un effet délétère sur les moteurs qui ne finirent pas la course :

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Ci-dessus la première V8RI, #4501 qui a une calandre à lamelles verticales depuis lors (1939).

Le V8 ça plaisait bien aux américains mais c’est pourtant la Maserati 8CTF « Boyle Special » de 3 litres à 8 cylindres en ligne double compresseur qui remporta les 500 Miles d’Indianapolis en 1939 et 1940 avec Wilbur Shaw à son volant :

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#4503 fut apparemment à un moment de sa vie transformée en biplace avec le volant à gauche. La voici en cours de restauration avant qu’elle ne récupère son volant central de monoplace :

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La V8RI eut vraiment une carrière très longue aux USA. On en trouve encore une (#4501 d'après la calandre) engagée en 1958 (23 ans après sa naissance) à Watkins Glen :

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Mais c’est #4504 qui eut le palmarès sportif américain le plus riche. Aux mains de George Weaver, elle remporta la Seneca Cup Race en 1949 et 1951. Voici une victoire de la #4504 bicolore de Georges Weaver :

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Elle est noire sur les côtés avant du fuselage et elle a une prise d’air sur le côté gauche de la calandre :

La même auto de nos jours :

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Georges Weaver courut longtemps avec sa belle #4504 bicolore qu’il chérissait particulièrement :

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Après de décès de Georges Weaver, #4504 fut vendue et entièrement restaurée par ses nouveaux propriétaires américains, les frères Martin. La voici démontée en Californie dans les années 70 :

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Alimenté au méthanol, son moteur donnait 350 cv au banc d’essai !

Et la voici terminée avec sa peinture bicolore comme du temps de Georges Weaver :

Georges Weaver avait surnommé cette voiture « poison lil » (petit poison ou petit venin) et elle est toujours connue sous ce nom dans le monde de la collection automobile !

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Les quatre V8RI existent toujours de nos jours et elles sont en parfaite condition de course historique. Nous allons vous les présenter en commençant par la dernière.

Quelques images récentes de #4504 (la « poison lil » de Georges Weaver, ex Raph, la seule V8RI achetée neuve aux USA) :

#4504 est la seule V8RI a avoir ce beau carénage horizontal à l'arrière qui avait été rajouté dès avant la guerre par Georges Weaver :

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Quelques images récentes de #4503 (victorieuse à Pau 1936 avec Philippe Etancelin, appartenant actuellement à un collectionneur allemand) :

On voit bien l'absence de boite de vitesses contre le moteur.

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Quelques images récentes de #4502 (piltée par Nino Farina en 1935 et ayant signé la pôle position à Reims, appartenant à Fred Puhn qui l’a restaurée patiemment depuis 1980 « 50 % des pièces manquantes, 50 % des pièces cassées ») :

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Quelques images récentes de la toute première #4501 qui a toujours sa calandre type Indianapolis 1939 :

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Et pour finir, une belle aquarelle du peintre Robert Hooper montrant Philippe Etancelin au volant de sa V8RI, toute une époque :

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